Romande Renart est un ensemble médiéval de récits animaliers écrits en ancien français et en vers.Ces récits disparates, rédigés par différents auteurs, sont appelés à partir du Moyen Âge « branches ». Ils sont composés principalement en octosyllabes à rimes plates.Les branches les plus anciennes (vers 1174) sont attribuées à un certain Pierre de Saint-Cloud.
Mononcle Napoléon (Persan: Résumé de l'intrigue. L'histoire se déroule au moment de l'occupation de l'Iran par les forces alliées pendant la Seconde Guerre mondiale. La majeure partie de l'intrigue se déroule dans la maison du narrateur, un immense manoir iranien du début du XXe siècle dans lequel trois familles riches vivent sous la tyrannie d'un oncle patriarche
4442mots 18 pages. Montre plus. Le combat des crocs. La louve , entendu les hommes qui s'approchaient pour sauver Henry, mène le peloton loin. Un grand loup gris, le jeune
Résuméfacile Chapitre 1 : 1. Le problème du narrateur- adulte resumé de la boite a merveille chapitre par chapitre2. La voyante et ses rites mensuels 3. Les habitants de Dar Chouafa 4. L’univers du narrateur- enfant : un univers nourri par les histoires de Abdellah l’épicier et les discours de son père
VOUSLISEZ. Bad-Boy, shut up ! Romance. Franchement? Ne lisez pas cette histoire. Les Bad-Boys, c'est sur-coté. Lisez plutôt « Sydney », « La pire des Connases » ou encore « Tu n'es pas réel » ca me fera plaisir :) Je vous laisse le résumé quand même, mais ne le lisez pas.😂 -
ed8Gs. Image La pièce le Malade Imaginaire est indubitablement le fleuron théâtral de la langue française armé de son couperet humoristique à double quiproquo, la dernière pièce écrite de Jean-Baptiste Poquelin est sans aucun doute un chef-d'oeuvre. Fréquemment étudié de nos jours, il ne sert à rien d'en dire plus pour que l'on comprenne qu'un écrit ayant voyagé pendant des siècles ne peut pas être si maladroit que ça et n'est absolument en rien bancal. La première représentation a eu lieu le 10 février 1673, le public est absolument conquis par cette comédie-ballet inspirée de la commedia dell'arte italienne. Chez toutCOMMENT nous avons eu envie de vous proposer un apéritif de cette pièce avec notre article Résumé scène par scène Le Malade Imaginaire - Molière. Cependant nous espérons de tout coeur que ce hors-d'oeuvre vous ouvrira l'appétit et que vous vous laissiez tenter par une pièce de théâtre vieille de plus de 300 vous invitons à continuer la lecture de notre article Résumé scène par scène le malade imaginaire - Molière afin que vous puissiez vous régaler de l'imagination d'un des plus grands génies de la langue française. Index Quels sont les personnages de la pièce Le malade imaginaire ? Acte I Acte II Acte III première partie Acte III seconde partie Quels sont les personnages de la pièce Le malade imaginaire ? Pour cette dernière pièce Jean-Baptiste Poquelin alias Molière met en scène une petite dizaine de personnages Argan c'est le père d'Angélique, il est le malade il s'agit là de la servante de M. il s'agit là de la seconde femme d' c'est le frère d' c'est la fille aînée d'Argan ainsi que l'amante de c'est la fille cadette d'Argan et donc aussi la sœur d' amant d' Purgon c'est le médecin attitré d' Diafoirus c'est un Diafoirus c'est le fils de M. Diafoirus et il est choisi par Argan pour épouser Bonnefoy c'est un Fleurant c'est un apothicaire. Acte I Scène I Argan On commence la pièce Le Malade Imaginaire en compagnie d'Argan, seul sur scène comptant l'argent qu'il doit à ses médecins. Tout seul, il s'agace et sonne une cloche afin de faire venir sa servante, II Toinette, Argan Toinette rentre sur scène, Argan très impatient commence à la quereller, cependant la servante ne se laisse pas faire et l'interrompt à chaque fois avec un "AH" bien placé. La servante se plaint de l'impatience de son maître, elle l'interroge à propos de sa maladie et lui dit que les médecins le prennent pour une vache à lait car personne n'a besoin de prendre autant de médicaments. En fin de scène, Argan fait appeler sa fille aînée, III Angélique, Toinette, Argan Au moment où Angélique arrive sur scène, Argan a une envie urgente et doit courir aux toilettes, Toinette se moque gentiment de IV Angélique, Toinette Angélique profite de l'absence de son père pour parler avec Toinette, elle n'arrête pas de lui parler de l'amour qu'elle éprouve pour un jeune homme, lui demande ses conseils et cherche une oreille attentive pour les tourments de son cœur. Elles arrêtent de converser au moment où Argan revient sur V Argan, Angélique, Toinette Dans cette scène Argan explique à sa fille qu'on lui a demandé sa main, Angélique est ravie, elle est persuadée qu'il s'agit de son amant, le jeune et beau Cléante. Seulement, au fil de la discussion, elle se rend compte que son père veut la marier à un médecin, avec pour idée derrière la tête de pouvoir réduire ses frais. La valeureuse servante Toinette explique à son maître que sa fille ne consentira jamais à épouser un Diafoirus nom de son mari, elle s'oppose bec et ongles à cette VI Béline, Angélique, Toinette, Argan La seconde femme d'Argan rentre en scène Béline, Argan demande à sa femme de la défendre face à sa servante qu'il juge coupable d'effronterie et qu'il considère comme la cause de sa maladie. Béline était opposée au mariage et voulait mettre Angélique au couvent, sachant cela, Toinette argumente en disant qu'elle n'a rien fait pour mettre Argan en colère, elle a juste dit qu'elle pensait qu'elle serait plus à son aise dans un couvent. Argan parle de son testament à Béline qui dit qu'elle ne peut pas supporter l'idée de la mort de son mari, mais elle a pourtant fait venir un VII Le notaire, Béline, Argan Dans cette scène, Béline est en tête à tête avec Argan et le notaire, Béline a réussi à convaincre Argan de lui léguer la totalité de son argent en feignant qu'elle ne pourrait pas vivre sans lui. Seulement, le droit français ne permet pas de déshériter ses enfants, il va donc lui faire don de toute sa fortune de son VIII Angélique, Toinette On retrouve Angélique et Toinette discutant, la fille d'Argan est désespérée d'être mariée de force, elles entendent la discussion à propos du testament, Angélique n'en a que faire de son héritage et veut juste être libre de disposer de son cœur. Toinette la réconforte et lui dit qu'elle va l' première intermède que l'on a dans cette comédie ballet proposée par Molière est une sérénade exécutée par Polichinelle, l'amant de Toinette. Acte II Scène I Toinette, Cléante Dans cette scène, Cléante explique à Toinette qu'il compte se faire passer pour un professeur de musique afin de pouvoir s'entretenir avec Angélique. Une fois son plan exprimé, Argan arrive et Cléante se II Argan, Toinette, Cléante Dans cette scène Toinette annonce Cléante à Argan, ce dernier se plaint encore car il trouve qu'elle parle bien trop fort, Toinette se moque de lui et essaye de faire en sorte de mener Cléante dans la chambre d'Angélique afin qu'il lui dispense son cours de musique. Cependant Argan insiste pour qu'il lui donne son cours de chant devant lui car il aime la musique. À la fin de la scène Angélique III Argan, Angélique, Cléante Angélique arrive et a du mal à cacher sa surprise en voyant Cléante debout chez elle. Afin de satisfaire la curiosité de son père qui s'étonne de la voir si troublée, elle explique qu'elle a fait un rêve dans lequel Cléante apparaissait et que cela l'avait troublé de le voir planté chez IV Toinette, Angélique, Cléante, Argan Toinette arrive sur scène, elle annonce l'arrivée de la famille Diafoirus père et fils et ironise sur l'esprit et sur le physique du futur époux d'Angélique. Cléante essaye de s'échapper de cette situation étrange mais est retenu par Argan qui finit par l'inviter au mariage d'Angélique et du fils V M. Diafoirus, Thomas Diafoirus, Argan, Angélique, Cléante, Toinette La scène commence avec une discussion entre Argan et M. Diafoirus qui n'arrêtent pas de s'interrompre. Par la suite Thomas Diafoirus prend la parole, on s'aperçoit qu'il s'agit d'un grand benêt qui confond sa future femme Angélique avec la femme d'Argan. Une fois les présentations finies et les mérites vantés, Argan demande à Cléante et Angélique de chanter quelque chose. Il s'agit d'une chanson représentant leur situation, les deux se déclarent leur flamme en chantant, Argan n'apprécie pas trop cette chanson. Le malade imaginaire se saisit des feuilles tenues par Angélique et Cléante, il ne voit pas de paroles d'écrites, il s'interroge, Cléante explique qu'une nouvelle invention inclue les paroles dans les notes de musique. C'est à ce moment là que sa femme Béline VI Béline, Argan, Toinette, Angélique, Thomas Diafoirus Dans cette scène Angélique explique qu'elle aimerait au moins avoir le temps de connaître Thomas avant de le marier, tout le monde refuse, Angélique commence à s'énerver et prend sa belle-mère en grippe, elle explique qu'elle veut se marier à un homme qu'elle aime et non pas pour lui voler sa fortune. Angélique ne veut pas se marier, ce qui engendre une dispute entre Angélique et sa belle-mère. Cette dispute éclate pendant que les docteurs auscultent VII Béline, Argan Béline avant d'aller faire ses courses vient avertir Argan qu'elle a vu Angélique avec un homme, elle l'informe que sa fille cadette Louison était avec eux. Argan demande à ce qu'on fasse chercher Louison afin qu'il puisse tirer au clair cette VIII Louison, Argan Argan interroge Louison, au début la fille cadette ne moucharde pas Angélique mais à la vue du fouet, elle lui dit toute la vérité. Elle avoue la visite de Cléante et le fait qu'il lui a baisé les IX Bérale, ArganDans cette scène, Béralde frère d'Argan vient proposer un nouveau mari pour sa nièce Angélique. Béralde propose à son frère un proposé entre l'acte II et III est le divertissement évoqué par Béralde, il s'agit d'un spectacle de danse vous invitons à continuer la lecture de notre article Résumé scène par scène le malade imaginaire - Molière afin de découvrir ce que vous réserve le dernier acte ! Acte III première partie Scène I Béralde, Argan, Toinette Dans cette scène, Argan annonce qu'il doit retourner aux II Béralde, Toinette Durant cette courte scène, Toinette explique à Béralde qu'il faut tout faire pour empêcher ce mariage, elle lui explique qu'elle a un plan. La scène se termine une fois qu'Argan III Argan, Béralde Dans cette scène Béralde demande à son frère de garder un esprit ouvert sur ce qu'il est sur le point de lui évoquer. Béralde essaye de convaincre son frère que les médecins sont bons pour nommer les maladies en grec et en latin mais à l'heure de les guérir, il n'y a plus personne. Selon Béralde, quand on est malade il faut seulement se reposer et laisser faire la nature. Face à ce discours diamétralement opposé à la pensée d'Argan, ce dernier se fâche et défend bec et ongles sa si précieuse IV M. Fleurant, une seringue à la main, Argan, Béralde Dans cette scène, Béralde s'oppose à l'apothicaire M. Fleurant qui vient réaliser un lavement à Argan. Argan proteste mais son frère se demande quand est-ce qu'il sera enfin guéris de sa maladie des médecins. Argan explique qu'il est très malade mais Béralde n'y croit pas une seule seconde et est sûr que les médecins profitent de son frère. La scène se termine quand entre le médecin officiel d' V M. Purgon, Argan, Béralde, Toinette Dans cette scène Purgon qui est aussi l'oncle de Thomas Diafoirus menace de rompre l'engagement de mariage si Argan refuse de prendre le traitement qu'il a préparé avec soin, Argan essaye bien d'expliquer que ce n'est pas de sa faute, qu'il voulait le lavement et que c'est son frère qui l'a interdit. Mais le médecin n'écoute pas et menace Argan de maladies imprononçables s'il ne se plie pas à son traitement, Argan est absolument VI Béralde, Argan Dans cette scène Argan se plaint à son frère, il a peur de ne pas tenir plus de 4 jours sans le traitement de M. Purgon. Beralde lui explique que les menaces de ne raccourciront pas sa vie et que ses remèdes ne la lui rallongeront pas non plus. Béralde conseille à son frère d'au moins changer de médecin et d'en choisir un qui serait un peu moins intéressé par son VII Toinette, Argan, Béralde Dans cette scène Toinette annonce à Argan qu'un médecin veut s'entretenir avec lui. Elle explique que le médecin lui ressemble comme deux gouttes d'eau. Elle lui explique qu'il est bien chanceux car à peine un médecin le quitte un autre arrive à son chevet. Acte III seconde partie Scène VIII Toinette, Argan, Béralde Toinette se déguise en médecin et vient proposer ses services à Argan, elle s'excuse assez vite en prétextant qu'elle a oublié de donner de l'argent à son valet. Béralde et Argan sont frappés par la ressemblance de ce médecin avec IX Toinette, Argan, Béralde Toinette se change si rapidement qu'il est impossible de penser que c'était elle qui s'était déguisée en médecin. Elle demande ainsi ce que lui désire Argan, mais ce dernier ne l'a pas appelé. Argan et Béralde expliquent à Toinette l'incroyable ressemblance qui existe entre Toinette et le X Toinette, en médecin, Argan, Béralde Toinette déguisée en médecin explique qu'il a 90 ans et qu'il se conserve aussi bien grâce à l'un de ses secrets. Toinette explique que les médecins d'Argan sont des ignorants et qu'il n'est pas malade du foie mais bien du poumon. Elle lui dit qu'il faut qu'il mange mieux, il doit se nourrir de bon gros porcs, de bon gros bœuf etc... Toinette, déguisée en médecin explique à Argan qu'il faudrait qu'il se coupe le bras gauche et qu'il se crève un œil car ces deux membres détournent la plus grande partie de la nourriture qu'il mange et de fait affaiblissent son corps. Avec ces mesures pittoresques, elle compte prouver à Argan que les docteurs sont ridicules. Elle prétexte ensuite une urgence et s' XI Toinette, Argan, Béralde Dans cette scène, Béralde demande à son frère s'il ne veut pas marier Angélique à un autre homme étant donné qu'il est brouillé avec l'oncle de Thomas, son docteur Pour Argan il n'en est pas question, elle ira dans un couvent, Béralde explique que sa femme Béline le manipule et qu'elle ne l'aime pas vraiment. Toinette, sous le ton de l'ironie, défend Béline et finit par proposer à Béralde de se cacher dans un coin de la pièce, puis dit à Argan de faire le mort afin que les deux puissent voir oh combien Madame serait catastrophée de la mort d'Argan. Les deux frères XII Béline, Toinette, Argan, Béralde Dans cette scène Toinette, Argan et Béralde exécutent le stratagème mis en place par Toinette. Ainsi, lorsque Béline entre sur scène, Toinette s'empresse de la prévenir que son mari est mort, elle joue la catastrophée. Béline est ravie, elle est contente d'être enfin débarrassée de son mari qu'elle n'aimait que pour son argent. Argan se réveille et comprend que sa femme n'est qu'une croqueuse de diamants et qu'elle ne l'a jamais aimé. Toinette propose de faire le même stratagème à sa fille XIII Angélique, Argan, Toinette, Béralde Angélique est effondrée à l'annonce de la mort de son père, elle s'en veut qu'il soit mort en étant fâché contre elle, elle se sent XIV Cléante, Argan, Angélique, Béralde, Toinette Cléante accoure en entendant les pleurs d'Angélique, cette dernière est inconsolable, elle repousse Cléante en lui disant qu'elle ne se mariera pas avec lui afin de respecter les vœux de son père défunt. À ce moment, Argan reprend vie, Angélique lui demande de ne pas la forcer à épouser quelqu'un, finalement Argan consent à ce qu'elle marie Cléante à la condition qu'il devienne médecin. C'est à ce moment que Béralde prend la parole et suggère à Argan de se faire lui même médecin, Toinette approuve l'argument de Béralde et surenchérit en expliquant qu'avec la connaissance de la médecine qu'il a, il n'aurait même pas besoin d'étudier. Béralde explique qu'une fois qu'on a une robe et un bonnet de médecin, tout ce que l'on dit devient savant et "toute sottise devient raison". Béralde connait une personne qui l'ordonnera médecin en 2 secondes, c'est la fin de la pièce qui finira par la troisième intermède une cérémonie burlesque dans laquelle Argan se fera médecin en récit, en chant et danse. Si vous souhaitez lire plus d'articles semblables à Résumé scène par scène Le Malade Imaginaire - Molière, nous vous recommandons de consulter la catégorie Formation.
Pourquoi j'ai mangé mon père - ROY LEWIS Fiche de lecture détaillée. Bienvenue en préhistoire ! Quatrième de couverture- Extrait - Commentaire - Résumé Critique Thèmes essentiels de chaque chapitre Les découvertes Schéma du livre Etude du Chapitre 18 Le schéma de la communication Pourquoi il a mangé son père Quelque part dans la savane africaine, Edouard est un Pithécanthrope insatisfait de sa situation de charognard frugivore. Edouard est bien décidé à faire son petit bonhomme de chemin sur la route jonchée d'épreuves de L'Evolution, quitte à changer d'espèce s'il le faut. Alors, Edouard observe, expérimente, organise, cogite. Sorte de Professeur Tournesol du pléistocène moyen, il réussit presque à maîtriser le feu et avec ses enfants, il met au point, avec une foi inébranlable envers le Progrès, la fourrure amovible, l'exogamie, le rôti de bœuf, l'orchestre symphonique, les traités de paix, l'art figuratif, l'arc et les flèches, les discours à la fin des repas de famille... Le reste de la horde suit avec enthousiasme ou méfiance tandis que le vieil oncle Vania, un peu réactionnaire, garde pour seul mot d'ordre Back to the trees!». Roy LEWIS résume en 180 pages, en un conflit de générations, quelques centaines de milliers d'années qui mèneront l'Homo erectus vers un sapiens qui refermera ce livre dans un grand éclat de rire. Introduction - Bienvenue en préhistoire ! Le bouquin est truffé d'anachronismes, dans la narration et dans les dialogues des personnages, que l'on surprend à parler de leurs positions politiques, mais surtout de leurs repères dans la préhistoire hum, untel animal n'existe pas encore, nous ne sommes donc pas rendus au miocène... qu'est-ce qui a fait que nous avons évolué à ce point-là ? Comment ces évolutions se sont-elles déroulées ? Pourquoi les hommes ne sont-ils pas restés sur leurs acquis ? à la fin on apprend effectivement pourquoi ce génial inventeur a été dévoré par sa progéniture met en lumière cette période peu étudiée qu'est la préhistoire. Quatrième de couverture Extrait " Ta saloperie de feu va vous éteindre tous, toi et ton espèce, et en un rien de temps, crois-moi ! Yah ! Je remonte sur mon arbre, cette fois tu as passé les bornes, Edouard, et rappelle-toi, le brontosaure aussi avait passé les bornes, où est-il à présent ? Back to the trees ! clama-t-il en cri de ralliement. Commentaire Ce roman préhistorique, met en scène des personnages pré-hominiens, qui commencent à peine à se tenir debout. Les Anciens et les Modernes y débattent des problèmes de leur temps, comme de la découverte du feu ou de la difficulté de trouver une grotte confortable par les temps qui courent. C'est très drôle. Parfois même désopilant. Il faut juste apprécier l'humour anglais. Résumé Critique J'ai bien aimé ce livre, car il montre la vie préhistorique différente de la réalité. Le vocabulaire est très comique et il est utilisé comme celui de nos jours, alors que le livre raconte la préhistoire. Plus intello un roman hilarant dans lequel les héros sont des hommes préhistoriques qui utilisent notre vocabulaire, manient nos idées et surtout, s'attachent à devenir des hommes "modernes" dans des dialogues d'une rare finesse. Que vous soyez réactionnaire ou progressiste, vous trouverez fatalement votre modèle parmi ces héros! Thèmes essentiels de chaque chapitre voir Pourquoi j'ai mangé mon père - ROY LEWIS Les découvertes Le feu naturel puis artificiel, la chasse, la lance, l’habitation, l’exogamie, le peigne, la cuisson de la viande, les tentatives de domestication des animaux, l’arc, la magie, la religion, l’amour, ... Schéma du livre Besoin d’inventer lui-même, son plaisir / Désir de faire progresser la horde/les difficultés de la vie l’humanité/le souci du bien de la subhumanité/ faire progresser la horde/fl’humanité/Son génie l’oncle Vania/son travail la peur de la horde/ les habitudes/les résultats obtenus l’échec de certaines expériences/ le danger... Etude du Chapitre 18 Thèse d’Edouard il faut partager le secret du feu avec les autres hordes Thèse d’Ernest il ne faut pas divulguer des secrets intéressant notre sécurité au profit d’une horde étrangère.... Le schéma de la communication Qui raconte ? un narrateur Ernest / un auteur Roy Lewis A qui ? à un auditeur ou lecteur à des lecteurs Quand ? à l’époque des pithécanthropes / au 20ème siècle Où ? en Afrique / En Angleterre Quoi ? sa vie et celle de sa horde la vie des pithécanthropes Pour quelles raisons ? pour justifier son anthropophagie pour faire imaginer aux lecteurs la vie de leurs lointains ancêtres Comment ? par un récit " autobiographique " par un récit écrit à la première personne avec humour Pour obtenir la totalité de ce dossier, je vous invite à verser la modique somme de 3 € sur mon Compte pay’pal. c'est en échange de mon travail. Et en faveur de l’illettrisme Puis, par retour de mail, je m’engage à vous envoyer la fiche complète de ce dossier. Je joins les liens compte Helene benoit - Cagnotte fiche de lecture en résumé 1 vous m'ecrivez en mail helene33660 2 vous versez votre participation dans la cagnotte, 3 Je vous renvoie le document que vous me demandez. c'est plutot simple, non ? Dans tous les cas, n'hesitez pas à me contacter. Merci à vous Helene Sur ce blog Noé face au déluge
Sur le continent Chapitre 1 Le colonel irlandais sir Thomas Nevil revient d’Italie avec sa fille Lydia. À l’hôtel à Marseille, ils rencontrent des anciens officiers qui évoquent le souvenir de la Corse et parlent des mœurs du pays, des histoires de Vendetta. Cet enthousiasme les séduit et ils décident de partir sur l’île pour une quinzaine de jours. Chapitre 2 Le colonel et sa fille embarquent sur une goélette vers la Corse. On leur annonce qu’un passager inattendu est du voyage ils avait demandé au commandant d’y être seuls. Dans un premier temps contrariés, la conversation que le colonel engage avec Orso della Rebbia va finalement les rapprocher. Chapitre 3 À la fin du dîner, Lydia remonte sur le pont et entend le matelot chanter une complainte corse. Cette dernière cesse lorsqu’Orso monte lui aussi sur le pont. Elle apprend que la musique qu’elle a aimé est une ballata composée pour la mort du colonel della Rebbia, qui n’est autre que le père d’Orso. Lydia pense alors qu’Orso est de retour en Corse pour venger son père et rendre des comptes à la famille ennemie Barricini. Durant le voyage, Orso explique les mœurs corses à Lydia. Ajaccio Chapitre 4 Installés à Ajaccio, le colonel et Orso décident de partir à la chasse tandis que Lydia se promène. Rapidement lasse des paysages, elle essaie de civiliser » Orso, qui tombe amoureux d’elle. Ils reçoivent un soir le préfet du département. En constatant le retour d’Orso, il s’inquiète de savoir s’il souhaite suivre la coutume de la vendetta. Alors que l’instinct du pays semble se réveiller chez le jeune homme, Lydia réussit à le convaincre de renoncer à ce désir de vengeance. Chapitre 5 C’est l’entrée en scène de Colomba, sombre et farouche, qui vient retrouver son frère. Lydia s’intéresse à elle. Colomba semble emplie d’un orgueil familial singulier et d’une vive tristesse. Avec l’improvisation d’un vocero, Colomba appelle subtilement son frère à la vengeance. Chapitre 6 L’auteur explique que la rivalité des familles della Rebbia et Barricini remonte au XVIe siècle. Elle vient d’une première offense, suivie d’une première vendetta. Elle était réapparue plus vivement entre le colonel della Rebbia le père d’Orso et l’avocat Giudice Barricini. Ce dernier est devenu maire du village de Pietranera, où revient vivre le colonel. Les rivalités continuent de se succéder entre eux. On interdit par exemple au colonel d’enterrer son épouse selon ses dernières volontés. Cette querelle s’est terminée par l’assassinat du père d’Orso qui réussit à noter dans son carnet le nom de son meurtrier. Le carnet ayant été remis au maire avant de l’être au juge, la page a disparu, ce que reproche la famille della Rebbia, suspicieuse. Colomba, qui ne supporte le non-lieu de la justice, exprime sa haine dans une ballata » qui devient extrêmement populaire. Elle ne cesse de dire à son frère les soupçons qu’elle a au sujet des Barricini. Orso n’est pourtant pas revenu pour tuer, mais pour marier sa sœur et vendre ses propriétés afin de vivre sur le continent. Chapitre 7 Orso confie à Lydia la crainte qu’il a par rapport à l’attitude de sa sœur. Lydia tente de le convaincre de ne pas céder à la vengeance. Chapitre 8 Le colonel et Lydia saluent Orso et Colomba qui quittent Ajaccio pour se rentre au centre de l’île, à Pietranera. Colomba offre un poignard à Lydia tandis que le Colonel offre un fusil à Orso. On voit Lydia succomber au charme d’Orso. Chapitre 9 Au cours du voyage, Colomba partage son admiration envers Lydia qu’elle trouve belle et pousse Orso à l’épouser. Ils se reposent une nuit chez un ami de leur famille et repartent en direction de Pietranera à travers le maquis. Comme Colomba a fait courir le bruit que son frère revient pour honorer la vengeance, une troupe de bergers armés viennent à leur rencontre pour sécuriser leur arrivée. Leur joie se manifeste bruyamment, mais Orso n’apprécie pas cet accueil et les fait éloigner. Le village semble être prêt à assister à une guerre entre les deux familles. Pietranera Chapitre 10 Dans la maison de son enfance, Orso évoque le doux souvenir de sa mère et celui, plus mêlé, de son père qui, après l’avoir affectueusement traité, lui avait, à l’armée, strictement imposé la discipline. Il envisage aussi l’avenir, sombre ou souriant, selon qu’il pense à la vengeance ou à la visite prochaine de Lydia. Survient une petite fille, Chilina, à qui Colomba donne du pain et de la poudre pour son oncle, le bandit Brando Savelli, ou BrandoIaccio, qui vit pauvrement et dangereusement dans le maquis. Orso, contrarié, fait des reproches à sa sœur. Chapitre 11 Colomba fait fondre des balles pour le fusil d’Orso et lui offre des vêtements qu’elle a faits pour lui ainsi qu’un poignard. Son obsession de vengeance gêne Orso. Colomba amène son frère, lors d’une promenade-pèlerinage, sur le mucchio où se dresse une croix de bois là où leur père a été assassiné. Remué par les souvenirs, Orso part seul et se questionne sur l’engagement ordonné par sa sœur. Il préfèrerait un duel avec l’un des fils plutôt que d’honorer la vendetta. Puis il repense aux conseils de Lydia. Errant dans le maquis, il rencontre Chilina qui le conduit près de son père, le bandit Brandolaccio, qui a pris le maquis avec un autre bandit, appelé le Curé ». Chapitre 12 Colomba demande à son frère de l’accompagner à la veillée funèbre du corps de Charles-Baptiste Pietri où elle va réciter une ballata. Son improvisation est interrompue par l’arrivée du maire Barricini, accompagné de ses deux fils. Les hommes se moquent d’elle ouvertement. Chapitre 13 Le préfet annonce à Orso et Colomba qu’une lettre de Tomaso Bianchi, un voleur en prison, accuse le bandit Agostini d’avoir tué par vengeance leur père et tente ainsi de faire cesser l’inimitié entre les deux familles. Colomba refuse d’y croire. Chapitre 14 Lydia donne des nouvelles à Orso dans une lettre et lui annonce son arrivée prochaine à Pietranera. Elle incite fortement Orso à écouter le préfet qui porte les preuves d’innocence des Barricini. Orso, soulagé, penche pour cette même opinion. Colomba, en colère, reste sur son idée de vengeance et lit toute une nuit de vieux papiers. Elle fait venir deux visiteurs étranges. Chapitre 15 Colomba prétexte qu’Orso ne peut se déplacer et réussit à faire venir chez eux le préfet et les Barricini. Alors que le préfet fait une déclaration d’innocence, Colomba annonce qu’elle a la preuve que l’un des fils des Barricini est venu voir régulièrement l’auteur de la fameuse lettre et qu’il lui a fait écrire celle-ci elle avance comme preuves ses papiers, ainsi que deux bandits Brandolaccio et le Curé », qui témoignent. La rencontre tourne à la confrontation et Orso envoie à Orlanduccio une convocation pour un duel au fusil. Chapitre 16 Une lettre de Lydia annonce qu’elle et son père arrivent au village plus tôt que prévu. Elle n’a pas reçu les alertes d’Orso qui la prévenait sur l’état de siège au village. Colomba conseille à son frère de partir de lui-même pour leur déconseiller ce voyage et propose de prendre d’assaut la maison de leurs ennemis. Cette menace attise encore la haine des partisans de la famille della Rebbia. Les deux bergers qui accompagnent Orso font preuve de zèle et tuent un cochon de la famille ennemie. Orso, loin de cette idée de vengeance, les renvoie. Chapitre 17 Sur le chemin, Orso rêve de Lydia. Il est prévenu également par Chilina de la présence des fils Barricini. Les deux frères tirent sur Orso, et le blessent. Il est atteint au bras gauche, et blessé légèrement à la poitrine. Orso riposte et tue les fils Barricini. Toute la scène s’est déroulée très rapidement, avec seulement quatre coups de feu. Alerté, le bandit Brandolaccio arrive sur les lieux et constate avec admiration le coup de main d’Orso. Il soigne sa blessure et l’amène dans le maquis de la Stazzona. Chapitre 18 Le colonel et Lydia arrivent au village. Ils ont entendu les quatre coups de feu. Chilina survient et annonce qu’Orso est en vie. Elle confie également à Lydia l’impatience que le jeune homme avait de lui écrire et de la voir. Le Colonel s’étonne de ses étranges règlements de compte qui sont en marge de la justice légale. Les cadavres des fils Barricini sont rapportés. Des tirs sont portés contre les fenêtres du manoir des Rebbia, mais Colomba défie les Barricini. Suite aux évènements, le Colonel veut quitter Pietranera et même la Corse, mais Lydia prétexte vouloir rester aider Colomba pour rester en vérité près d’Orso. Ce dernier lui envoie une lettre où il se dit victime de la fatalité » et condamné à un avenir de proscrit. Le préfet mène une enquête et garde le témoignage des Anglais qui affirment que les coups de feu du fusil offert par le Colonel ont été les deux derniers. Chapitre 19 Colomba propose à Lydia de la suivre pour une promenade qui se fait longue. Elle l’amène en réalité au maquis pour voir Orso. Ce dernier, lorsqu’il la voit, lui dit qu’il l’aime. Des coups de feu retentissent, les hommes réussissent à s’enfuir. Colomba et Lydia sont arrêtées et amenées à Pietranera, mais le préfet va les libérer. Colomba triomphe de cette vengeance tandis que Lydia avoue à son père son engagement auprès d’Orso. Près de bastia Chapitre 20 Quelque mois plus tard, Orso et Colomba partent sur une montagne au-dessus de Bastia pour dire adieu aux bandits et leur annoncer le non-lieu établi par la justice envers Orso grâce au témoignage des anglais. Les bandits refusent de s’assurer une vie plus sûre » en Sardaigne comme leur propose Orso et ils font l’éloge de la liberté dont ils jouissent dans le maquis. Refusant l’argent, ils acceptent un souvenir pour Brandolaccio, c’est le fusil d’Orso ; pour le Curé », c’est une édition d’Horace. À Pise Chapitre 21/21 Lydia et Orso se marient et partent visiter Pise, accompagnés du Colonel et de Colomba. Cette dernière rencontre par hasard le père Barricini que la mort de ses fils a rendu fou. Elle le provoque en chantant une ballata. Barricini qui la reconnaît lui dit Il fallait m’en laisser un, un seul », ce à quoi Colomba répond Il me les fallait tous les deux […] Les rameaux sont coupés, et si la souche n’était pas pourrie, je l’eusse arrachée. »
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Chagrin d’école de Daniel Pennac Pour Minne, ô combien ! À Fanchon Delfosse, Pierre Arènes, José Rivaux, Philippe Bonneu, Ali Mehidi, Françoise Dousset et Nicole Harlé, sauveurs d’élèves s’il en fut. Et à la mémoire de Jean Rolin, qui ne désespéra jamais du cancre que j’étais. I - La poubelle de Djibouti Statistiquement tout s’explique, personnellement tout se complique. 1. Commençons par l’épilogue Maman, quasi centenaire, regardant un film sur un auteur qu’elle connaît bien. On voit l’auteur chez lui, à Paris, entouré de ses livres, dans sa bibliothèque qui est aussi son bureau. La fenêtre ouvre sur une cour d’école. Raffut de récré. On apprend que pendant un quart de siècle l’auteur exerça le métier de professeur et que s’il a choisi cet appartement donnant sur deux cours de récréation, c’est à la façon d’un cheminot qui prendrait sa retraite au-dessus d’une gare de triage. Puis on voit l’auteur en Espagne, en Italie, discutant avec ses traducteurs, blaguant avec ses amis vénitiens, et sur le plateau du Vercors, marchant, solitaire, dans la brume des altitudes, parlant métier, langue, style, structure romanesque, personnages… Nouveau bureau, ouvert sur la splendeur alpine, cette fois. Ces scènes sont ponctuées par des interviews d’artistes que l’auteur admire, et qui parlent eux-mêmes de leur propre travail le cinéaste et romancier Dai Sijie, le dessinateur Sempé, le chanteur Thomas Fersen, le peintre Jürg Kreienbühl. Retour à Paris l’auteur derrière son ordinateur, parmi ses dictionnaires cette fois. Il en a la passion, dit-il. On apprend d’ailleurs, et c’est la conclusion du film, qu’il y est entré, dans le dictionnaire, le Robert, à la lettre P, sous le nom de Pennac, de son nom entier Pennacchioni, Daniel de son prénom. Maman, donc, regarde ce film, en compagnie de mon frère Bernard, qui l’a enregistré pour elle. Elle le regarde d’un bout à l’autre, immobile dans son fauteuil, l’œil fixe, sans piper mot, dans le soir qui tombe. Fin du film. Générique. Silence. Puis, se tournant lentement vers Bernard, elle demande - Tu crois qu’il s’en sortira un jour ? 2. C’est que je fus un mauvais élève et qu’elle ne s’en est jamais tout à fait remise. Aujourd’hui que sa conscience de très vieille dame quitte les plages du présent pour refluer doucement vers les lointains archipels de la mémoire, les premiers récifs à ressurgir lui rappellent cette inquiétude qui la rongea pendant toute ma scolarité. Elle pose sur moi un regard soucieux et, lentement - Qu’est-ce que tu fais, dans la vie ? Très tôt mon avenir lui parut si compromis qu’elle ne fut jamais tout à fait assurée de mon présent. N’étant pas destiné à devenir, je ne lui paraissais pas armé pour durer. J’étais son enfant précaire. Elle me savait pourtant tiré d’affaire depuis ce mois de septembre 1969 où j’entrai dans ma première classe en qualité de professeur. Mais pendant les décennies qui suivirent c’est-à-dire pendant la durée de ma vie adulte, son inquiétude résista secrètement à toutes les preuves de réussite » que lui apportaient mes coups de téléphone, mes lettres, mes visites, la parution de mes livres, les articles de journaux ou mes passages chez Pivot. Ni la stabilité de ma vie professionnelle, ni la reconnaissance de mon travail littéraire, rien de ce qu’elle entendait dire de moi par des tiers ou qu’elle pouvait lire dans la presse ne la rassurait tout à fait. Certes, elle se réjouissait de mes succès, en parlait avec ses amis, convenait que mon père, mort avant de les connaître, en aurait été heureux mais, dans le secret de son cœur demeurait l’anxiété qu’avait fait naître à jamais le mauvais élève du commencement. Ainsi s’exprimait son amour de mère; quand je la taquinais sur les délices de l’inquiétude maternelle, elle répondait joliment par une blague à la Woody Allen - Que veux-tu, toutes les Juives ne sont pas mères, mais toutes les mères sont juives. Et, aujourd’hui que ma vieille mère juive n’est plus tout à fait dans le présent, c’est de nouveau cette inquiétude qu’expriment ses yeux quand ils se posent sur son petit dernier de soixante ans. Une inquiétude qui aurait perdu de son intensité, une anxiété fossile, qui n’est plus que l’habitude d’elle-même, mais qui demeure suffisamment vivace pour que Maman me demande, sa main posée sur la mienne, au moment où je la quitte - Tu as un appartement, à Paris ? 3. Donc, j’étais un mauvais élève. Chaque soir de mon enfance, je rentrais à la maison poursuivi par l’école. Mes carnets disaient la réprobation de mes maîtres. Quand je n’étais pas le dernier de ma classe, c’est que j’en étais l’avant-dernier. Champagne ! Fermé à l’arithmétique d’abord, aux mathématiques ensuite, profondément dysorthographique, rétif à la mémorisation des dates et à la localisation des lieux géographiques, inapte à l’apprentissage des langues étrangères, réputé paresseux leçons non apprises, travail non fait, je rapportais à la maison des résultats pitoyables que ne rachetaient ni la musique, ni le sport, ni d’ailleurs aucune activité parascolaire. - Tu comprends ? Est-ce que seulement tu comprends ce que je t’explique ? Je ne comprenais pas. Cette inaptitude à comprendre remontait si loin dans mon enfance que la famille avait imaginé une légende pour en dater les origines mon apprentissage de l’alphabet. J’ai toujours entendu dire qu’il m’avait fallu une année entière pour retenir la lettre a. La lettre a, en un an. Le désert de mon ignorance commençait au-delà de l’infranchissable b. - Pas de panique, dans vingt-six ans il possédera parfaitement son alphabet. Ainsi ironisait mon père pour distraire ses propres craintes. Bien des années plus tard, comme je redoublais ma terminale à la poursuite d’un baccalauréat qui m’échappait obstinément, il aura cette formule - Ne t’inquiète pas, même pour le bac on finit par acquérir des automatismes… Ou, en septembre 1968, ma licence de lettres enfin en poche - Il t’aura fallu une révolution pour la licence, doit-on craindre une guerre mondiale pour l’agrégation ? Cela dit sans méchanceté particulière. C’était notre forme de connivence. Nous avons assez vite choisi de sourire, mon père et moi. Mais revenons à mes débuts. Dernier-né d’une fratrie de quatre, j’étais un cas d’espèce. Mes parents n’avaient pas eu l’occasion de s’entraîner avec mes aînés, dont la scolarité, pour n’être pas exceptionnellement brillante, s’était déroulée sans heurt. J’étais un objet de stupeur, et de stupeur constante car les années passaient sans apporter la moindre amélioration à mon état d’hébétude scolaire. Les bras m’en tombent », Je n’en reviens pas », me sont des exclamations familières, associées à des regards d’adulte où je vois bien que mon incapacité à assimiler quoi que ce soit creuse un abîme d’incrédulité. Apparemment, tout le monde comprenait plus vite que moi. - Tu es complètement bouché ! Un après-midi de l’année du bac une des années du bac, mon père me donnant un cours de trigonométrie dans la pièce qui nous servait de bibliothèque, notre chien se coucha en douce sur le lit, derrière nous. Repéré, il fut sèchement viré - Dehors, le chien, dans ton fauteuil ! Cinq minutes plus tard, le chien était de nouveau sur le lit. Il avait juste pris le soin d’aller chercher la vieille couverture qui protégeait son fauteuil et de se coucher sur elle. Admiration générale, bien sûr, et justifiée qu’un animal pût associer une interdiction à l’idée abstraite de propreté et en tirer la conclusion qu’il fallait faire son lit pour jouir de la compagnie des maîtres, chapeau, évidemment, un authentique raisonnement ! Ce fut un sujet de conversation familiale qui traversa les âges. Personnellement, j’en tirai l’enseignement que même le chien de la maison pigeait plus vite que moi. Je crois bien lui avoir murmuré à l’oreille - Demain, c’est toi qui vas au bahut, lèche-cul. 4. Deux messieurs d’un certain âge se promènent au bord du Loup, leur rivière d’enfance. Deux frères. Mon frère Bernard et moi. Un demi-siècle plus tôt, ils plongeaient dans cette transparence. Ils nageaient parmi les chevesnes que leur chahut n’effrayait pas. La familiarité des poissons donnait à penser que ce bonheur durerait toujours. La rivière coulait entre des falaises. Quand les deux frères la suivaient jusqu’à la mer, tantôt portés par le courant tantôt crapahutant sur les rochers, il leur arrivait de se perdre de vue. Pour se retrouver, ils avaient appris à siffler entre leurs doigts. De longues stridulations qui se répercutaient contre les parois rocheuses. Aujourd’hui l’eau a baissé, les poissons ont disparu, une mousse glaireuse et stagnante dit la victoire du détergent sur la nature. Ne demeure de notre enfance que le chant des cigales et la chaleur résineuse du soleil. Et puis, nous savons toujours siffler entre nos doigts; nous ne nous sommes jamais perdus d’oreille. J’annonce à Bernard que je songe à écrire un livre concernant l’école; non pas l’école qui change dans la société qui change, comme a changé cette rivière, mais, au cœur de cet incessant bouleversement, sur ce qui ne change pas, justement, sur une permanence dont je n’entends jamais parler la douleur partagée du cancre, des parents et des professeurs, l’interaction de ces chagrins d’école. - Vaste programme… Et comment vas-tu t’y prendre ? - En te cuisinant, par exemple. Quels souvenirs gardes-tu de ma propre nullité, disons… en math ? Mon frère Bernard était le seul membre de la famille à pouvoir m’aider dans mon travail scolaire sans que je me verrouille comme une huître. Nous avons partagé la même chambre jusqu’à mon entrée en cinquième, où je fus mis en pension. - En math ? Ça a commencé avec l’arithmétique, tu sais ! Un jour je t’ai demandé quoi faire d’une fraction que tu avais sous les yeux. Tu m’as répondu automatiquement Il faut la réduire au dénominateur commun. » Il n’y avait qu’une fraction, donc un seul dénominateur, mais tu n’en démordais pas Faut la réduire au dénominateur commun ! » Comme j’insistais Réfléchis un peu, Daniel il n’y a là qu’une seule fraction, donc un seul dénominateur », tu t’es foutu en rogne C’est le prof qui l’a dit; les fractions, faut les réduire au dénominateur commun ! » Et les deux messieurs de sourire, le long de leur promenade. Tout cela est très loin derrière eux. L’un d’eux a été professeur pendant vingt-cinq ans deux mille cinq cents élèves, à peu près, dont un certain nombre en grande difficulté », selon l’expression consacrée. Et tous deux sont pères de famille. Le prof a dit que… », ils connaissent. L’espoir placé par le cancre dans la litanie, oui… Les mots du professeur ne sont que des bois flottants auxquels le mauvais élève s’accroche sur une rivière dont le courant l’entraîne vers les grandes chutes. Il répète ce qu’a dit le prof. Pas pour que ça ait du sens, pas pour que la règle s’incarne, non, pour être tiré d’affaire, momentanément, pour qu’ on me lâche ». Ou qu’on m’aime. À tout prix. - Un livre de plus sur l’école, alors ? Tu trouves qu’il n’y en a pas assez ? - Pas sur l’école ! Tout le monde s’occupe de l’école, éternelle querelle des anciens et des modernes ses programmes, son rôle social, ses finalités, l’école d’hier, celle de demain… Non, un livre sur le cancre ! Sur la douleur de ne pas comprendre, et ses dégâts collatéraux. - Tu en as bavé tant que ça ? - Peux-tu me dire autre chose sur le cancre que j’étais ? - Tu te plaignais de ne pas avoir de mémoire. Les leçons que je te faisais apprendre le soir s’évaporaient dans la nuit. Le lendemain matin tu avais tout oublié. Le fait est. Je n’imprimais pas, comme disent les jeunes gens d’aujourd’hui. Je ne captais ni n’imprimais. Les mots les plus simples perdaient leur substance dès qu’on me demandait de les envisager comme objet de connaissance. Si je devais apprendre une leçon sur le massif du Jura, par exemple plus qu’un exemple, c’est, en l’occurrence, un souvenir très précis, ce petit mot de deux syllabes se décomposait aussitôt jusqu’à perdre tout rapport avec la Franche-Comté, l’Ain, l’horlogerie, les vignobles, les pipes, l’altitude, les vaches, les rigueurs de l’hiver, la suisse frontalière, le massif alpin ou la simple montagne. Il ne représentait plus rien. Jura, me disais-je, Jura ? Jura… Et je répétais le mot, inlassablement, comme un enfant qui n’en finit pas de mâcher, mâcher et ne pas avaler, répéter et ne pas assimiler, jusqu’à la totale décomposition du goût et du sens, mâcher, répéter, Jura, Jura, jura, jura, jus, rat, jus, ra ju ra ju ra jurajurajura, jusqu’à ce que le mot devienne une masse sonore indéfinie, sans le plus petit reliquat de sens, un bruit pâteux d’ivrogne dans une cervelle spongieuse… C’est ainsi qu’on s’endort sur une leçon de géographie. - Tu prétendais détester les majuscules. Ah ! Terribles sentinelles, les majuscules ! Il me semblait qu’elles se dressaient entre les noms propres et moi pour m’en interdire la fréquentation. Tout mot frappé d’une majuscule était voué à l’oubli instantané villes, fleuves, batailles, héros, traités, poètes, galaxies, théorèmes, interdits de mémoire pour cause de majuscule tétanisante. Halte là, s’exclamait la majuscule, on ne franchit pas la porte de ce nom, il est trop propre, on n’en est pas digne, on est un crétin ! Précision de Bernard, le long de notre chemin - Un crétin minuscule ! Rire des deux frères. - Et plus tard, rebelote avec les langues étrangères je ne pouvais pas m’ôter de l’idée qu’il s’y disait des choses trop intelligentes pour moi. - Ce qui te dispensait d’apprendre tes listes de vocabulaire. - Les mots d’anglais étaient aussi volatils que les noms propres… - Tu te racontais des histoires, en somme. Oui, c’est le propre des cancres, ils se racontent en boucle l’histoire de leur cancrerie je suis nul, je n’y arriverai jamais, même pas la peine d’essayer, c’est foutu d’avance, je vous l’avais bien dit, l’école n’est pas faite pour moi… L’école leur paraît un club très fermé dont ils s’interdisent l’entrée. Avec l’aide de quelques professeurs, parfois. Deux messieurs d’un certain âge se promènent le long d’une rivière. En bout de promenade ils tombent sur un plan d’eau cerné de roseaux et de galets. Bernard demande - Tu es toujours aussi bon, en ricochets ? 5. Bien entendu se pose la question de la cause originelle. D’où venait ma cancrerie ? Enfant de bourgeoisie d’État, issu d’une famille aimante, sans conflit, entouré d’adultes responsables qui m’aidaient à faire mes devoirs… Père polytechnicien, mère au foyer, pas de divorce, pas d’alcooliques, pas de caractériels, pas de tares héréditaires, trois frères bacheliers des matheux, bientôt deux ingénieurs et un officier, rythme familial régulier, nourriture saine, bibliothèque à la maison, culture ambiante conforme au milieu et à l’époque père et mère nés avant 1914 peinture jusqu’aux impressionnistes, poésie jusqu’à Mallarmé, musique jusqu’à Debussy, romans russes, l’inévitable période Teilhard de Chardin, Joyce et Cioran pour toute audace… Propos de table calmes, rieurs et cultivés. Et pourtant, un cancre. Pas d’explication non plus à tirer de l’historique familial. C’est une progression sociale en trois générations grâce à l’école laïque, gratuite et obligatoire, ascension républicaine en somme, victoire à la Jules Ferry… Un autre Jules, l’oncle de mon père, l’Oncle, Jules Pennacchioni, mena au certificat d’études les enfants de Guargualé et de Pila-Canale, les villages corses de la famille; on lui doit des générations d’instituteurs, de facteurs, de gendarmes, et autres fonctionnaires de la France coloniale ou métropolitaine… peut-être aussi quelques bandits, mais il en aura fait des lecteurs. L’Oncle, dit-on, faisait faire des dictées et des exercices de calcul à tout le monde et en toutes circonstances; on dit aussi qu’il allait jusqu’à enlever les enfants que leurs parents obligeaient à sécher l’école pendant la cueillette des châtaignes. Il les récupérait dans le maquis, les ramenait chez lui et prévenait le père esclavagiste - Je te rendrai ton garçon quand il aura son certificat ! Si c’est une légende, je l’aime. Je ne crois pas qu’on puisse concevoir autrement le métier de professeur. Tout le mal qu’on dit de l’école nous cache le nombre d’enfants qu’elle a sauvés des tares, des préjugés, de la morgue, de l’ignorance, de la bêtise, de la cupidité, de l’immobilité ou du fatalisme des familles. Tel était l’Oncle. Pourtant, trois générations plus tard, moi, le cancre ! La honte de l’Oncle, s’il avait su… Par bonheur, il mourut avant de me voir naître. Non seulement mes antécédents m’interdisaient toute cancrerie mais, dernier représentant d’une lignée de plus en plus diplômée, j’étais socialement programmé pour devenir le fleuron de la famille polytechnicien ou normalien, énarque évidemment, la Cour des comptes, un ministère, va savoir… On ne pouvait espérer moins. Là-dessus, un mariage efficace et la mise au monde d’enfants destinés dès le berceau à la taupe de Louis-le-Grand et propulsés vers le trône de l’Élysée ou la direction d’un consortium mondial de la cosmétique. La routine du darwinisme social, la reproduction des élites… Eh bien non, un cancre. Un cancre sans fondement historique, sans raison sociologique, sans désamour un cancre en soi. Un cancre étalon. Une unité de mesure. Pourquoi ? La réponse gît peut-être dans le cabinet des psychologues, mais ce n’était pas encore l’époque du psychologue scolaire envisagé comme substitut familial. On faisait avec les moyens du bord. Bernard, de son côté, proposait son explication - À six ans, tu es tombé dans la poubelle municipale de Djibouti. - Six ans ? L’année du a ? - Oui. C’était une décharge à ciel ouvert, en fait. Tu y es tombé du haut d’un mur. Je ne me rappelle pas combien de temps tu y as macéré. Tu avais disparu, on te cherchait partout, et tu te débattais là-dedans sous un soleil qui devait avoisiner les soixante degrés. Je préfère ne pas imaginer à quoi ça ressemblait. L’image de la poubelle, tout compte fait, convient assez à ce sentiment de déchet que ressent l’élève perdu pour l’école. Poubelle » est d’ailleurs un terme que j’ai entendu prononcer plusieurs fois pour qualifier ces boîtes privées hors contrat qui acceptent à quel prix ? de recueillir les rebuts du collège. J’y ai vécu de la cinquième à la première, pensionnaire. Et parmi tous les professeurs que j’y ai subis, quatre m’ont sauvé. - Quand on t’a sorti de ce tas d’ordures, tu as fait une septicémie; on t’a piqué à la pénicilline pendant des mois. Ça te faisait un mal de chien, tu mourais de trouille. Quand l’infirmier se pointait on passait des heures à te chercher dans la maison. Un jour tu t’es caché dans une armoire qui t’est tombée dessus. Peur de la piqûre, voilà une métaphore parlante toute ma scolarité passée à fuir des professeurs envisagés comme des Diafoirus armés de seringues gigantesques et chargés de m’inoculer cette brûlure épaisse, la pénicilline des années cinquante – dont je me souviens très bien –, une sorte de plomb fondu qu’ils injectaient dans un corps d’enfant. En tout cas, oui, la peur fut bel et bien la grande affaire de ma scolarité; son verrou. Et l’urgence du professeur que je devins fut de soigner la peur de mes plus mauvais élèves pour faire sauter ce verrou, que le savoir ait une chance de passer. 6. Je fais un rêve. Pas un rêve d’enfant, un rêve d’aujourd’hui, pendant que j’écris ce livre. Juste après le chapitre précédent, à vrai dire. Je suis assis, en pyjama, au bord de mon lit. De gros chiffres en plastique, comme ceux avec lesquels jouent les petits enfants, sont éparpillés sur le tapis, devant moi. Je dois mettre ces chiffres en ordre ». C’est l’énoncé. L’opération me paraît facile, je suis content. Je me penche et tends les bras vers ces chiffres. Et je m’aperçois que mes mains ont disparu. Il n’y a plus de mains au bout de mon pyjama. Mes manches sont vides. Ce n’est pas la disparition de mes mains qui m’affole, c’est de ne pas pouvoir atteindre ces chiffres pour les mettre en ordre. Ce que j’aurais su faire. 7. Pourtant, extérieurement, sans être agité, j’étais un enfant vif et joueur. Habile aux billes et aux osselets, imbattable au ballon prisonnier, champion du monde de polochon, je jouais. Plutôt bavard et rieur, farceur même, je me faisais des amis à tous les étages de la classe, des cancres certes, mais des têtes de série aussi – je n’avais pas de préjugés. Plus que tout, certains professeurs me reprochaient cette gaieté. C’était ajouter l’insolence à la nullité. La moindre des politesses, pour un cancre, c’est d’être discret mort-né serait l’idéal. Seulement, ma vitalité m’était vitale, si je puis dire. Le jeu me sauvait du chagrin qui m’envahissait dès que je retombais dans ma honte solitaire. Mon Dieu, cette solitude du cancre dans la honte de ne jamais faire ce qu’il faut ! Et cette envie de fuir… J’ai ressenti très tôt l’envie de fuir. Pour où ? Assez confus. Fuir de moi-même, disons, et pourtant en moi-même. Mais un moi qui aurait été acceptable par les autres. C’est sans doute à cette envie de fuir que je dois l’étrange écriture qui précéda mon écriture. Au lieu de former les lettres de l’alphabet, je dessinais des petits bonshommes qui s’enfuyaient en marge pour s’y constituer en bande. Je m’appliquais, pourtant, au début, j’ourlais mes lettres tant bien que mal, mais peu à peu les lettres se métamorphosaient d’elles-mêmes en ces petits êtres sautillants et joyeux qui s’en allaient folâtrer ailleurs, idéogrammes de mon besoin de vivre Aujourd’hui encore j’utilise ces bonshommes dans mes dédicaces. Ils me sont précieux pour couper à la recherche de la platitude distinguée qu’on se doit d’écrire sur la page de garde des services de presse. C’est la bande de mon enfance, je lui reste fidèle. 8. Adolescent, j’ai rêvé d’une bande plus réelle. Ce n’était pas l’époque, ce n’était pas de mon milieu, mon environnement ne m’en donnait pas la possibilité, mais aujourd’hui encore, je le dis résolument, si j’avais eu l’occasion de me constituer en bande, je l’aurais fait. Et avec quelle joie ! Mes camarades de jeu ne me suffisaient pas. Je n’existais pour eux qu’à la récréation; en classe je me sentais compromettant. Ah ! me fondre dans une bande où la scolarité n’aurait compté pour rien, quel rêve ! Ce qui fait l’attrait de la bande ? S’y dissoudre avec la sensation de s’y affirmer. La belle illusion d’identité ! Tout pour oublier ce sentiment d’étrangeté absolue à l’univers scolaire, et fuir ces regards d’adulte dédain. Tellement convergents, ces regards ! Opposer un sentiment de communauté à cette perpétuelle solitude, un ailleurs à cet ici, un territoire à cette prison. Quitter l’île du cancre à tout prix, fût-ce sur un bateau de pirates où ne régnerait que la loi du poing et qui mènerait, au mieux, en prison. Je les sentais tellement plus forts que moi, les autres, les professeurs, les adultes, et d’une force tellement plus écrasante que le poing, si admise, si légale, qu’il m’arrivait d’en éprouver un besoin de vengeance proche de l’obsession. Quatre décennies plus tard, l’expression avoir la haine » ne me surprit pas quand elle apparut dans la bouche de certains adolescents. Multipliée par quantité de facteurs nouveaux, sociologiques, culturels, économiques, elle exprimait encore ce besoin de vengeance qui m’avait été si familier. Par bonheur, mes camarades de jeu n’étaient pas de ceux qui se constituent en bande, et je n’étais originaire d’aucune cité. Je fus donc une bande de jeunes à moi tout seul, comme dit la chanson de Renaud, une bande bien modeste, où je pratiquais en solitaire des représailles plutôt sournoises. Ces langues de bœufs, par exemple une centaine, prélevées nuitamment aux conserves de la cantine et que j’avais clouées à la porte d’un intendant parce qu’il nous les servait deux fois par semaine et que nous les retrouvions le lendemain dans nos assiettes si nous ne les avions pas mangées. Ou ce hareng saur ficelé au pot d’échappement de la toute neuve voiture d’un professeur d’anglais c’était une Ariane, je me la rappelle, le flanc des pneus blanc comme des chaussures de maquereau…, qui se mit à puer inexplicablement le poisson grillé au point que, les premiers jours, son propriétaire lui- même empestait la poiscaille en entrant dans la classe. Ou encore cette trentaine de poules, chipées dans les fermes avoisinant mon pensionnat de montagne, pour remplir la chambre du surveillant général pendant toute la durée du week-end où il m’avait consigné. Quel magnifique poulailler devint cette piaule en trois jours seulement fientes et plumes collées, et la paille pour faire plus vrai, et les œufs cassés un peu partout, et le maïs généreusement distribué par là-dessus ! Sans parler de l’odeur ! Ah, la jolie fête quand le chef des pions, ouvrant benoîtement la porte de sa chambre, libéra dans les couloirs les prisonnières affolées que chacun se mit à poursuivre pour son propre compte ! C’était idiot, bien sûr, idiot, méchant, répréhensible, impardonnable… Et inefficace, avec ça le genre de sévices qui n’améliore pas le caractère du corps enseignant… Pourtant, je mourrai sans arriver à regretter mes poules, mon hareng et mes pauvres bœufs à la langue tranchée. Avec mes petits bonshommes fous, ils faisaient partie de ma bande. 9. Une constante pédagogique à de rares exceptions près, le vengeur solitaire ou le chahuteur sournois, c’est une question de point de vue ne se dénonce jamais. Si un autre que lui a fait le coup, il ne le dénonce pas davantage. Solidarité ? Pas sûr. Une sorte de volupté, plutôt, à voir l’autorité s’épuiser en enquêtes stériles. Que tous les élèves soient punis privés de ceci ou de cela jusqu’à ce que le coupable se livre ne l’émeut pas. Bien au contraire, on lui fournit par là l’occasion de se sentir partie prenante de la communauté, enfin ! Il s’associe à tous pour juger dégueulasse » de faire payer » tant d’ innocents » à la place d’un seul coupable ». Stupéfiante sincérité ! Le fait qu’il soit le coupable en question n’entre plus, à ses yeux, en ligne de compte. En punissant tout le monde l’autorité lui a permis de changer de registre nous ne sommes plus dans l’ordre des faits, qui regarde l’enquête, mais sur le terrain des principes; or, en bon adolescent qu’il est, l’équité est un principe sur lequel il ne transige pas. - Ils ne trouvent pas qui c’est, alors ils nous font tous payer, c’est dégueulasse ! Qu’on le traite de lâche, de voleur, de menteur ou de quoi que ce soit d’autre, qu’un procureur tonitruant déclare publiquement tout le mépris où il tient les affreux de son espèce qui n’ont pas le courage de leurs actes » ne le touche guère. D’abord parce qu’il n’entend là que la confirmation de ce qu’on lui a mille fois répété et qu’il est d’accord sur ce point avec le procureur c’est même un plaisir rare, cet accord secret Oui, tu as raison, je suis bien le méchant que tu dis, pire même, si tu savais… » et ensuite parce que le courage d’aller accrocher les trois soutanes du préfet de discipline au sommet du paratonnerre, par exemple, ce n’est pas le procureur qui l’a eu, ni aucun autre élève ici présent, c’est bien lui, et lui seul, au plus noir de la nuit, lui dans sa nocturne et désormais glorieuse solitude. Pendant quelques heures, les soutanes ont fait au collège un noir drapeau de pirate et personne, jamais, ne saura qui a hissé ce pavillon grotesque. Et si on accuse quelqu’un d’autre à sa place, ma foi, il se tait encore, car il connaît son monde et sait très bien avec Claudel, qu’il ne lira pourtant jamais qu’ on peut aussi mériter l’injustice ». Il ne se dénonce pas. C’est qu’il s’est fait une raison de sa solitude et qu’il a enfin cessé d’avoir peur. Il ne baisse plus les yeux. Regardez-le, il est le coupable au regard candide. Il a enfoui dans son silence ce plaisir unique personne ne saura, jamais ! Quand on se sent de nulle part, on a tendance à se faire des serments à soi- même. Mais ce qu’il éprouve, par-dessus tout, c’est la joie sombre d’être devenu incompréhensible aux nantis du savoir qui lui reprochent de ne rien comprendre à rien. Il s’est découvert une aptitude, en somme faire peur à ceux qui l’effrayaient; il en jouit intensément. Personne ne sait ce dont il est capable, et c’est bon. La naissance de la délinquance, c’est l’investissement secret de toutes les facultés de l’intelligence dans la ruse. 10. Mais on se ferait une fausse idée de l’élève que j’étais si on s’en tenait à ces représailles clandestines. D’ailleurs, les trois soutanes, ce n’était pas moi. Le cancre joyeux, ourdissant nuitamment des coups de main vengeurs, l’invisible Zorro des châtiments enfantins, j’aimerais pouvoir m’en tenir à cette image d’Épinal, seulement j’étais aussi – et surtout – un gosse prêt à toutes les compromissions pour un regard d’adulte bienveillant. Quémander en douce l’assentiment des professeurs et coller à tous les conformismes oui, monsieur, vous avez raison, oui… hein, monsieur, que je ne suis pas si bête, pas si méchant, pas si décevant, pas si… Oh ! l’humiliation quand l’autre me renvoyait, d’une phrase sèche, à mon indignité. Oh ! l’abject sentiment de bonheur quand, au contraire, il y allait de deux mots vaguement gentils que j’engrangeais aussitôt comme un trésor d’humanité… Et comme je me précipitais, le soir même, pour en parler à mes parents J’ai eu une bonne conversation avec monsieur Untel… » comme s’il s’agissait d’avoir une bonne conversation, devait se dire mon père, à juste titre…. Longtemps, j’ai traîné derrière moi la trace de cette honte. La haine et le besoin d’affection m’avaient pris tout ensemble dès mes premiers échecs. Il s’agissait d’amadouer l’ogre scolaire. Tout faire pour qu’il ne me dévore pas le cœur. Collaborer, par exemple, au cadeau d’anniversaire de ce professeur de sixième qui, pourtant, notait mes dictées négativement Moins 38, Pennacchioni, la température est de plus en plus basse ! » Me creuser la tête pour choisir ce qui ferait vraiment plaisir à ce salaud, organiser la quête parmi les élèves et fournir moi-même le complément, vu que le prix de l’affreuse merveille dépassait le montant de la cagnotte. Il y avait des coffres-forts dans les maisons bourgeoises de l’époque. J’entrepris de crocheter celui de mes parents pour participer au cadeau de mon tortionnaire. C’était un de ces petits coffres sombres et trapus, où dorment les secrets de famille. Une clef, une molette à chiffres, une autre à lettres. Je savais où mes parents rangeaient la clef mais il me fallut plusieurs nuits pour trouver la combinaison. Molette, clef, porte close. Molette, clef, porte close. Porte close. Porte close. On se dit qu’on n’y arrivera jamais. Et voilà que soudain, déclic, la porte s’ouvre ! On en reste sidéré. Une porte ouverte sur le monde secret des adultes. Secrets bien sages en l’occurrence quelques obligations, je suppose, des emprunts russes qui dormaient là en espérant leur résurrection, le pistolet d’ordonnance d’un grand-oncle, dont le chargeur était plein mais dont on avait limé le percuteur, et de l’argent aussi, pas beaucoup, quelques billets, d’où je prélevai la dîme nécessaire au financement du cadeau. Voler pour acheter l’affection des adultes… Ce n’était pas exactement du vol et ça n’acheta évidemment aucune affection. Le pot aux roses fut découvert lorsque, durant cette même année, j’offris à ma mère un de ces affreux jardins japonais qui étaient alors à la mode et qui coûtaient les yeux de la tête. L’événement eut trois conséquences ma mère pleura ce qui était rare, persuadée d’avoir mis au monde un perceur de coffres le seul domaine où son dernier-né manifestait une indiscutable précocité, on me mit en pension, et ma vie durant je fus incapable de faucher quoi que ce soit, même quand le vol devint culturellement à la mode chez les jeunes gens de ma génération. 11. À tous ceux qui aujourd’hui imputent la constitution de bandes au seul phénomène des banlieues, je dis vous avez raison, oui, le chômage, oui, la concentration des exclus, oui, les regroupements ethniques, oui, la tyrannie des marques, la famille monoparentale, oui, le développement d’une économie parallèle et les trafics en tout genre, oui, oui, oui… Mais gardons-nous de sous-estimer la seule chose sur laquelle nous pouvons personnellement agir et qui, elle, date de la nuit des temps pédagogiques la solitude et la honte de l’élève qui ne comprend pas, perdu dans un monde où tous les autres comprennent. Nous seuls pouvons le sortir de cette prison-là, que nous soyons ou non formés pour cela. Les professeurs qui m’ont sauvé et qui ont fait de moi un professeur n’étaient pas formés pour ça. Ils ne se sont pas préoccupés des origines de mon infirmité scolaire. Ils n’ont pas perdu de temps à en chercher les causes et pas davantage à me sermonner. Ils étaient des adultes confrontés à des adolescents en péril. Ils se sont dit qu’il y avait urgence. Ils ont plongé. Ils m’ont raté. Ils ont plongé de nouveau, jour après jour, encore et encore… Ils ont fini par me sortir de là. Et beaucoup d’autres avec moi. Ils nous ont littéralement repêchés. Nous leur devons la vie. 12. Je fouille le fatras de mes vieux papiers à la recherche de mes bulletins scolaires et de mes diplômes, et je tombe sur une lettre conservée par ma mère. Elle est datée de février 1959. J’avais quatorze ans depuis trois mois. J’étais en quatrième. Je lui écrivais de ma première pension Ma chère Maman, Moi aussi j’ai vu mes notes, je suis écœuré, j’en ai plein le dot [sic], quand on en est venu au point de travailler 2 h sans arrêt pendant une étude pour récolter un 1 à un devoir d’algèbre que l’on croulait [sic] bon il y a de quoi être découragé, aussi ais-je [sic] tout lâché [sic] pour réviser mes examens et mon 4 en application explique sûrement la révision de mon examen de géologie pendant mon cour [sic] de math, [etc.] Je ne suis pas assez intelligent et travailleur pour continuer mes études. Ça ne m’intéresse pas, j’attrape mal au crâne [sic] à rester enfermer [sic] dans la paperasse, je ne comprends [sic] rien à l’anglais, à l’algèbre, je suis nule [sic] en orthographe, que reste-t-il ? Marie-Thé, coiffeuse de notre village La Colle-sur-Loup, mon amie aînée depuis ma prime enfance, m’avouait récemment que ma mère, s’épanchant sous le casque, lui avait confié son inquiétude quant à mon avenir, un peu soulagée, disait- elle, d’avoir obtenu de mes frères la promesse qu’ils prendraient soin de moi après sa disparition et celle de mon père. Toujours dans la même lettre, j’écrivais Vous avez eu trois fils intelligents et travailleurs… un autre un cancre, un féignant » sic… Suivait une étude comparée des performances de mes frères et des miennes et une vigoureuse supplique pour qu’on arrête le massacre, qu’on me retire de l’école et qu’on m’envoie aux colonies » famille de militaires, dans un petit bled [sic] et là se serait [sic] le seul endroit où je serais [sic] heureux » souligné deux fois. L’exil, au bout du monde en somme, le pis-aller du rêve, un projet de fuite à la Bardamu chez un fils de soldat. Dix ans plus tard, le 30 septembre 1969, je recevais une lettre de mon père, adressée au collège où j’exerçais depuis un mois le métier de professeur. C’était mon premier poste et c’était sa première lettre au fils devenu. Il sortait de l’hôpital, il me disait les douceurs de la convalescence, ses lentes promenades avec notre chien, me donnait des nouvelles de la famille, m’annonçait le possible mariage de ma cousine à Stockholm, faisait de discrètes allusions à un projet de roman dont nous avions parlé ensemble et que je n’ai toujours pas écrit, manifestait une vive curiosité à l’égard de ce que mes collègues et moi échangions dans nos propos de table, attendait l’arrivée par la poste de La loge du gouverneur d’Angelo Rinaldi en pestant contre la grève des postiers, vantait L’attrape-cœur de Salinger et Le jardin des délices de José Cabanis, excusait ma mère de ne pas m’écrire plus fatiguée que moi de m’avoir soigné », m’annonçait qu’il avait prêté la roue de secours de notre 2 CV à mon amie Fanchon Bernard s’est fait un plaisir de la lui changer », et m’embrassait en m’assurant de sa bonne forme. Pas plus qu’il ne m’avait menacé d’un avenir calamiteux pendant ma scolarité, il ne faisait la moindre allusion à mon passé de cancre. Sur la plupart des sujets son ton était comme à l’habitude pudiquement ironique, et il ne semblait pas considérer que mon nouvel état de professeur méritât qu’on s’en étonne, qu’on m’en félicite, ou qu’on s’en inquiète pour mes élèves. Bref, mon père tel qu’en lui-même, ironiste et sage, désireux de bavarder avec moi, à distance respectable, de la vie qui se continuait. J’ai l’enveloppe de cette lettre sous les yeux. Aujourd’hui seulement un détail me frappe. Il ne s’était pas contenté d’écrire mon nom, le nom du collège, celui de la rue et de la ville… Il y avait ajouté la mention professeur. Daniel Pennacchioni professeur au collège… Professeur… De son écriture si exacte. Il m’aura fallu une existence entière pour entendre ce hurlement de joie – et ce soupir de soulagement. II - Devenir J’ai douze ans et demi et je n’ai rien fait 1. Nous entrons, pendant que j’écris ces lignes, dans la saison des appels au secours. Dès le mois de mars le téléphone sonne à la maison plus souvent que d’habitude amis éperdus cherchant une nouvelle école pour un enfant en échec, cousins désespérés en quête d’une énième boîte après un énième renvoi, voisins contestant l’efficacité d’un redoublement, inconnus qui pourtant me connaissent, ils tiennent mon téléphone d’Untel… Ce sont des appels du soir généralement, vers la fin du dîner, l’heure de la détresse. Des appels de mères le plus souvent. De fait rarement le père, le père vient après, quand il vient, mais à l’origine, au premier coup de téléphone, c’est toujours la mère, et presque toujours pour le fils. La fille semble plus sage. On est la mère. On est seule à la maison, repas expédié, vaisselle pas faite, le bulletin du garçon étalé devant soi, le garçon enfermé à double tour dans sa chambre devant son jeu vidéo, ou déjà dehors, en vadrouille avec sa bande, malgré une timide interdiction… On est seule, la main sur le téléphone, on hésite. Expliquer pour la énième fois le cas du fils, faire une fois de plus l’historique de ses échecs, cette fatigue, mon Dieu… Et la perspective de l’épuisement à venir démarcher cette année encore les écoles qui voudront bien de lui… poser une journée de congé au bureau, au magasin… visites aux chefs d’établissement… barrages des secrétariats… dossiers à remplir… attente de la réponse… entretiens… avec le fils, sans le fils… tests… attente des résultats… documentation… incertitudes, cette école est-elle meilleure que cette autre ? Car en matière d’école la question de l’excellence se pose au sommet de l’échelle comme au fond des abysses, la meilleure école pour les meilleurs élèves et la meilleure pour les naufragés, tout est là… On appelle enfin. On s’excuse de vous déranger, on sait à quel point vous devez être sollicité mais voilà on a un garçon qui, vraiment, dont on ne sait plus comment… Professeurs, mes frères, je vous en supplie, pensez à vos collègues quand, dans le silence de la salle des profs, vous écrivez sur vos bulletins que le troisième trimestre sera déterminant ». Sonnerie instantanée de mon téléphone - Le troisième trimestre, tu parles ! Leur décision est déjà prise depuis le début, oui. - Le troisième trimestre, le troisième trimestre, ça ne l’émeut pas du tout, ce gosse, la menace du troisième trimestre, il n’a jamais eu un seul trimestre convenable ! - Le troisième trimestre… Comment voulez-vous qu’il remonte un pareil handicap en si peu de temps ? Ils savent bien que c’est un gruyère, leur troisième trimestre, avec toutes ces vacances ! - S’ils refusent le passage, cette fois je fais appel ! - De toute façon, aujourd’hui il faut s’y prendre de plus en plus tôt pour trouver une école… Et ça dure jusqu’à la fin du mois de juin, quand il est avéré que le troisième trimestre a bel et bien été déterminant, qu’on n’acceptera pas le rejeton dans la classe supérieure et qu’il est effectivement trop tard pour chercher une nouvelle école, tout le monde s’y étant pris avant soi, mais que voulez-vous, on a voulu y croire jusqu’au bout, on s’est dit que cette fois peut-être le gosse comprendrait, il s’était bien repris au troisième trimestre, si, si, je vous assure, il faisait des efforts, beaucoup moins d’absences… 2. Il y a la mère perdue, épuisée par la dérive de son enfant, évoquant les effets supposés des désastres conjugaux c’est notre séparation qui l’a… depuis la mort de son père, il n’est plus tout à fait… Il y a la mère humiliée par les conseils des amies dont les enfants, eux, marchent bien, ou qui, pire, évitent le sujet avec une discrétion presque insultante… Il y a la mère furibarde, convaincue que son garçon est depuis toujours l’innocente victime d’une coalition enseignante, toutes disciplines confondues, ça a commencé très tôt, à la maternelle, il avait une institutrice qui… et ça ne s’est pas du tout arrangé au CP, l’instit, un homme cette fois, était pire, et figurez-vous que son professeur de français, en quatrième, lui a… Il y a celle qui n’en fait pas une question de personne mais vitupère la société telle qu’elle se délite, l’institution telle qu’elle sombre, le système tel qu’il pourrit, le réel en somme, tel qu’il n’épouse pas son rêve… Il y a la mère furieuse contre son enfant ce garçon qui a tout et ne fait rien, ce garçon qui ne fait rien et veut tout, ce garçon pour qui on a tout fait et qui jamais ne… pas une seule fois, vous m’entendez ! Il y a la mère qui n’a pas rencontré un seul professeur de l’année et celle qui a fait leur siège à tous… Il y a la mère qui vous téléphone tout simplement pour que vous la débarrassiez cette année encore d’un fils dont elle ne veut plus entendre parler jusqu’à l’année prochaine même date, même heure, même coup de téléphone, et qui le dit On verra l’année prochaine, il faut juste lui trouver une école d’ici là. » Il y a la mère qui craint la réaction du père Cette fois mon mari ne le supportera pas » on a caché la plupart des bulletins de notes au mari en question… Il y a la mère qui ne comprend pas ce fils si différent de l’autre, qui s’efforce de ne pas l’aimer moins, qui s’ingénie à demeurer la même mère pour ses deux garçons. Il y a la mère, au contraire, qui ne peut s’empêcher de choisir celui-ci Pourtant je m’investis entièrement en lui », au grand dam des frères et sœurs, bien sûr, et qui a utilisé en vain toutes les ressources des aides auxiliaires sport, psychologie, orthophonie, sophrologie, cures de vitamines, relaxation, homéopathie, thérapie familiale ou individuelle… Il y a la mère versée en psychologie, qui donnant une explication à tout s’étonne qu’on ne trouve jamais de solution à rien, la seule au monde à comprendre son fils, sa fille, les amis de son fils et de sa fille, et dont la perpétuelle jeunesse d’esprit N’est-ce pas qu’il faut savoir rester jeune ? » s’étonne que le monde soit devenu si vieux, tellement inapte à comprendre les jeunes. Il y a la mère qui pleure, elle vous appelle et pleure en silence, et s’excuse de pleurer… un mélange de chagrin, d’inquiétude et de honte… À vrai dire toutes ont un peu honte, et toutes sont inquiètes pour l’avenir de leur garçon Mais qu’est-ce qu’il va devenir ? » La plupart se font de l’avenir une représentation qui est une projection du présent sur la toile obsédante du futur. Le futur comme un mur où seraient projetées les images démesurément agrandies d’un présent sans espoir, la voilà la grande peur des mères ! 3. Elles ignorent qu’elles s’adressent au plus jeune perceur de coffre de sa génération et que si leur représentation de l’avenir était fondée je ne serais pas au téléphone en train de les écouter mais en prison, à compter mes poux, conformément au film que dut projeter ma pauvre maman sur l’écran du futur quand elle apprit que son fils de onze ans pillait les économies de la famille. Alors, je tente une histoire drôle - Connaissez-vous le seul moyen de faire rire le bon Dieu ? Hésitation au bout du fil. - Racontez-lui vos projets. En d’autres termes, pas d’affolement, rien ne se passe comme prévu, c’est la seule chose que nous apprend le futur en devenant du passé. C’est insuffisant, bien sûr, un sparadrap sur une blessure qui ne cicatrisera pas si facilement, mais je fais avec les moyens du téléphone. 4. Pour être juste, on me parle aussi parfois de bons élèves la mère méthodique, par exemple, en quête de la meilleure classe préparatoire, comme elle fut, dès la naissance de son enfant, à la recherche de la meilleure maternelle, et qui me suppose aimablement une compétence pour cette pêche en altitude; ou la mère venue d’un autre monde, première immigration, gardienne de mon immeuble, qui a repéré des dons étranges chez sa fille, or elle a raison, la petite doit poursuivre un cycle long, aucun doute là-dessus, une future agrégée de quelque chose, elle aura même le choix de la matière… De fait, elle achève aujourd’hui ses études de droit. Et puis, il y a L. M., agriculteur dans le Vercors, convoqué par l’institutrice du village, vu les résultats époustouflants de son garçon… - Elle me demande ce que j’aimerais qu’il fasse plus tard. Il lève son verre à ma santé - Vous êtes marrants, vous autres les profs, avec vos questions… - Alors, qu’est-ce que tu lui as répondu ? - Qu’est-ce que tu veux que ça réponde, un père ? Le maximum ! Président de la République ! Et il y a l’inverse, un autre père, technicien de surface celui-là, qui veut absolument abréger les études de son garçon pour le mettre au travail, que le gamin gagne » tout de suite. Un salaire de plus dans la famille ça ferait pas de mal ! » Oui mais voilà, le gamin veut être professeur des écoles justement, instituteur comme on disait naguère, et je trouve que c’est une bonne idée, j’aimerais bien, moi, qu’il entre dans l’enseignement, ce garçon si vif et qui en a tant envie, négocions, négocions, il y va du bonheur des futurs élèves de ce futur collègue… Allons bon, voilà que je me mets à croire en l’avenir, moi aussi, que je reprends foi en l’école de la république. C’est elle qui a formé mon propre père, après tout, l’école de la république, et à quatre-vingt-dix ans de distance ce garçon ressemble beaucoup à ce que devait être mon père, le petit Corse d’Aurillac, vers l’année 1913, quand son frère aîné se mit au travail pour offrir à son cadet les moyens et le temps de franchir les portes de l’École polytechnique. Et puis, j’ai toujours encouragé mes amis et mes élèves les plus vivants à devenir professeurs. J’ai toujours pensé que l’école, c’était d’abord les professeurs. Qui donc m’a sauvé de l’école, sinon trois ou quatre professeurs ? 5. Il y a ce père, agacé, qui m’affirme, catégorique - Mon fils manque de maturité. Un homme jeune, strictement assis dans les perpendiculaires de son costume. Droit sur sa chaise, il déclare d’entrée de jeu que son fils manque de maturité. C’est une constatation. Ça n’appelle ni question ni commentaire. Ça exige une solution, point final. Je demande tout de même l’âge du fils en question. Réponse immédiate - Onze ans déjà. C’est un jour où je ne suis pas en forme. Mal dormi, peut-être. Je prends mon front entre mes mains, pour déclarer, finalement, en Raspoutine infaillible - J’ai la solution. Il lève un sourcil. Regard satisfait. Bon, nous sommes entre professionnels. Alors, cette solution ? Je la lui donne - Attendez. Il n’est pas content. La conversation n’ira pas beaucoup plus loin. - Ce gosse ne peut tout de même pas passer son temps à jouer ! Le lendemain je croise le même père dans la rue. Même costume, même raideur, même attaché-case. Mais il se déplace en trottinette. Je jure que c’est vrai. 6. Aucun avenir. Des enfants qui ne deviendront pas. Des enfants désespérants. Écolier, puis collégien, puis lycéen, j’y croyais dur comme fer moi aussi à cette existence sans avenir. C’est même la toute première chose dont un mauvais élève se persuade. - Avec des notes pareilles qu’est-ce que tu peux espérer ? - Tu t’imagines que tu vas passer en sixième ? En cinquième, en quatrième, en troisième, en seconde, en première… - Combien de chances, au bac, d’après vous, faites-moi plaisir, calculez vos chances vous-même, sur cent, combien ? Ou cette directrice de collège, dans un vrai cri de joie - Vous, Pennacchioni, le BEPC ? Vous ne l’aurez jamais ! Vous m’entendez ? Jamais ! Elle en vibrait. En tout cas je ne deviendrai pas comme toi, vieille folle ! Je ne serai jamais prof, araignée engluée dans ta propre toile, garde-chiourme vissée à ton bureau jusqu’à la fin de tes jours. Jamais ! Nous autres les élèves nous passons, vous, vous restez ! Nous sommes libres et vous en avez pris pour perpète. Nous, les mauvais, nous n’allons nulle part mais au moins nous y allons ! L’estrade ne sera pas l’enclos minable de notre vie ! Mépris pour mépris je me raccrochais à ce méchant réconfort nous passons, les profs restent; c’est une conversation fréquente chez les élèves de fond de classe. Les cancres se nourrissent de mots. J’ignorais alors qu’il arrive aux professeurs de l’éprouver aussi, cette sensation de perpétuité rabâcher indéfiniment les mêmes cours devant des classes interchangeables, crouler sous le fardeau quotidien des copies on ne peut pas imaginer Sisyphe heureux avec un paquet de copies !, je ne savais pas que la monotonie est la première raison que les professeurs invoquent quand ils décident de quitter le métier, je ne pouvais pas imaginer que certains d’entre eux souffrent bel et bien de rester assis là, quand passent les élèves… J’ignorais que les professeurs aussi se soucient du futur décrocher mon agrég, achever ma thèse, passer à la fac, prendre mon envol pour les cimes des classes préparatoires, opter pour la recherche, filer à l’étranger, m’adonner à la création, changer de secteur, laisser enfin tomber ces boutonneux amorphes et vindicatifs qui produisent des tonnes de papier, j’ignorais que lorsque les professeurs ne pensent pas à leur avenir, c’est qu’ils songent à celui de leurs enfants, aux études supérieures de leur progéniture… Je ne savais pas que la tête des professeurs est saturée d’avenir. Je ne les croyais là que pour m’interdire le mien. Interdit d’avenir. À force de me l’entendre répéter je m’étais fait une représentation assez précise de cette vie sans futur. Ce n’était pas que le temps cesserait de passer, ce n’était pas que le futur n’existait pas, non, c’était que j’y serais pareil à ce que j’étais aujourd’hui. Pas le même, bien sûr, pas comme si le temps n’avait pas filé, mais comme si les années s’étaient accumulées sans que rien ne change en moi, comme si mon instant futur menaçait d’être rigoureusement pareil à mon présent. Or, de quoi était-il fait, mon présent ? D’un sentiment d’indignité que saturait la somme de mes instants passés. J’étais une nullité scolaire et je n’avais jamais été que cela. Bien sûr le temps passerait, bien sûr la croissance, bien sûr les événements, bien sûr la vie, mais je traverserais cette existence sans aboutir jamais à aucun résultat. C’était beaucoup plus qu’une certitude, c’était moi. De cela, certains enfants se persuadent très vite, et s’ils ne trouvent personne pour les détromper, comme on ne peut vivre sans passion ils développent, faute de mieux, la passion de l’échec. 7. L’avenir, cette étrange menace… Soirée d’hiver. Nathalie dégringole en sanglotant les escaliers du collège. Un chagrin qui tient à se faire entendre. Qui utilise le béton comme caisse de résonance. C’est encore une enfant, son corps pèse son poids d’ancien bébé sur les marches sonnantes de l’escalier. Il est dix-sept heures trente, presque tous les élèves sont partis. Je suis un des derniers professeurs à passer par là. Le tam-tam des pas sur les marches, l’explosion des sanglots houlà, chagrin d’école, pense le professeur, disproportion, disproportion, chagrin probablement disproportionné ! Et Nathalie apparaît au bas de l’escalier. Eh bien, Nathalie, eh bien, eh bien, qu’est-ce que c’est que ce chagrin ? Je connais cette élève, je l’ai eue l’année précédente, en sixième. Une enfant incertaine, à rassurer souvent. Qu’est-ce qui se passe, Nathalie ? Résistance de principe Rien, m’sieur, rien. Alors, c’est beaucoup de bruit pour rien, ma grande ! Redoublement des sanglots, et Nathalie, finalement, d’exposer son malheur entre les hoquets - Meu… Meu… Monsieur… je n’a… je n’arrive p… Je n’arrive pas à c… à comp… Je n’arrive pas à comprendre… - À comprendre quoi ? Qu’est-ce que tu n’arrives pas à comprendre ? - L’ap… l’ap… Et brusquement le bouchon saute, ça sort d’un coup - La… proposition-subordonnée-conjonctive-de-concession-et-d’opposition ! Silence. Ne pas rigoler. Surtout ne pas rire. - La proposition subordonnée conjonctive de concession et d’opposition ? C’est elle qui te met dans un état pareil ? Soulagement. Le prof se met à penser très vite et très sérieusement à la proposition en question; comment expliquer à cette élève qu’il n’y a pas de quoi s’en faire une montagne, qu’elle l’utilise sans le savoir, cette fichue proposition une de mes préférées d’ailleurs, si tant est qu’on puisse préférer une conjonctive à une autre…, la proposition qui rend possibles tous les débats, condition première à la subtilité, dans la sincérité comme dans la mauvaise foi, il faut bien le reconnaître, mais tout de même, pas de tolérance sans concession, ma petite, tout est là, il n’y a qu’à énumérer les conjonctions qui l’introduisent, cette subordonnée bien que, quoique, encore que, quelque que, tu sens bien qu’on s’achemine vers la subtilité après des mots pareils, qu’on va faire la part de la chèvre et du chou, que cette proposition fera de toi une fille mesurée et réfléchie, prête à écouter et à ne pas répondre n’importe quoi, une femme d’arguments, une philosophe peut-être, voilà ce qu’elle va faire de toi, la conjonctive de concession et d’opposition ! Ça y est, le professeur est enclenché comment consoler une gamine avec une leçon de grammaire ? Voyons voir… Tu as bien cinq minutes, Nathalie, viens ici que je t’explique. Classe vide, assieds-toi, écoute-moi bien, c’est tout simple… Elle s’assied, elle m’écoute, c’est tout simple. Ça y est ? Tu as compris ? Donne-moi un exemple, pour voir. Exemple juste. Elle a compris. Bon. Ça va mieux ? Eh bien ! pas du tout, ça ne va pas mieux du tout, nouvelle crise de larmes, des sanglots gros comme ça, et tout à coup cette phrase, que je n’ai jamais oubliée - Vous ne vous rendez pas compte, monsieur, j’ai douze ans et demi, et je n’ai rien fait. Rentré chez moi je ressasse la phrase. Qu’est-ce que cette gamine a bien pu vouloir dire ? Rien fait… » Rien fait de mal en tout cas, innocente Nathalie. Il me faudra attendre le lendemain soir, renseignements pris, pour apprendre que le père de Nathalie vient de se faire licencier après dix ans de bons et loyaux services en qualité de cadre dans une boîte de je ne sais plus quoi. C’est un des tout premiers cadres licenciés. Nous sommes au milieu des années quatre-vingt; jusqu’à présent le chômage était de culture ouvrière, si l’on peut dire. Et cet homme, jeune, qui n’a jamais douté de son rôle dans la société, cadre modèle et père attentif je l’ai vu plusieurs fois l’année précédente, soucieux de sa fille si timide, si peu confiante en elle-même, s’est effondré. Il a dressé un bilan définitif. À la table familiale, il ne cesse de répéter J’ai trente-cinq ans et je n’ai rien fait. » 8. Le père de Nathalie inaugurait une époque où l’avenir lui-même serait réputé sans avenir; une décennie pendant laquelle les élèves allaient se l’entendre répéter tous les jours et sur tous les tons fini les vaches grasses, mes enfants ! Et fini les amours faciles ! Chômage et sida pour tout le monde, voilà ce qui vous attend. Oui, c’est ce que nous leur avons seriné, parents ou professeurs, pendant les années qui ont suivi, pour les motiver » davantage. Un discours comme un ciel bouché. Voilà ce qui faisait pleurer la petite Nathalie; elle éprouvait du chagrin par anticipation, elle pleurait son futur comme un jeune mort. Et elle se sentait bien coupable de le tuer un peu plus tous les jours, avec ses difficultés en grammaire. Il est vrai que, par ailleurs, son professeur avait cru bon lui affirmer qu’elle avait de l’eau de vaisselle dans le crâne ». De l’eau de vaisselle, Nathalie ? Laisse-moi écouter… J’avais secoué sa petite tête avec une mine de toubib attentif… Non, non, pas de flotte là-dedans, ni de vaisselle… Timide sourire, quand même. Attends un peu… Et j’avais tapoté son crâne, index replié, comme on frappe à une porte… Non, je t’assure, c’est un beau cerveau que j’entends là, Nathalie, exceptionnel même, un très joli son, exactement le son que font les têtes pleines d’idées ! Petit rire, enfin. Quelle tristesse nous leur avons mise à l’âme pendant toutes ces années ! Et comme je préfère le rire de Marcel Aymé, le bon rire vachard de Marcel, quand il vante la sagesse du fils qui a flairé le chômage avant tout le monde - Toi, Émile, tu as été rudement plus malin que ton frère. Il faut dire que tu es l’aîné et que tu as plus de connaissance de la vie. En tout cas je n’ai pas d’inquiétude pour toi, tu as su résister à la tentation, et comme tu n’en as jamais foutu un clou te voilà préparé à l’existence qui t’attend. Ce qui est le plus dur pour le chômeur, vois-tu, c’est de ne pas avoir été habitué dès l’enfance à cette vie-là. C’est plus fort que soi, on a dans les mains une démangeaison de travailler. Avec toi, je suis tranquille, tu as un de ces poils dans la main qui ne demande qu’à friser. - Quand même, protesta Émile, je sais lire presque couramment. - Et c’est encore une preuve que tu es malin. Sans rien te casser ni prendre de mauvaises habitudes de travail, te voilà capable de suivre le tour de France dans ton journal, et tous les comptes rendus des grandes épreuves sportives qu’on écrit pour la distraction du chômeur. Ah ! Tu seras un homme heureux… 9. Plus de vingt ans ont passé. Aujourd’hui, le chômage est en effet de toutes les cultures, l’avenir professionnel ne sourit plus à grand monde sous nos latitudes, l’amour ne brille guère et Nathalie doit être une jeune femme de trente-sept ans et demi. Et mère, va savoir. D’une fille de douze ans, peut-être. Nathalie est-elle chômeuse ou satisfaite de son rôle social ? Perdue de solitude ou heureuse en amour ? Femme équilibrée, maîtresse ès concessions et oppositions ? Se répand-elle en désarroi à la table familiale ou songe-t-elle bravement au moral de sa fille quand la petite franchit la porte de sa classe ? 10. Nos mauvais élèves » élèves réputés sans devenir ne viennent jamais seuls à l’école. C’est un oignon qui entre dans la classe quelques couches de chagrin, de peur, d’inquiétude, de rancœur, de colère, d’envies inassouvies, de renoncement furieux, accumulées sur fond de passé honteux, de présent menaçant, de futur condamné. Regardez, les voilà qui arrivent, leur corps en devenir et leur famille dans leur sac à dos. Le cours ne peut vraiment commencer qu’une fois le fardeau posé à terre et l’oignon épluché. Difficile d’expliquer cela, mais un seul regard suffit souvent, une parole bienveillante, un mot d’adulte confiant, clair et stable, pour dissoudre ces chagrins, alléger ces esprits, les installer dans un présent rigoureusement indicatif. Naturellement le bienfait sera provisoire, l’oignon se recomposera à la sortie et sans doute faudra-t-il recommencer demain. Mais c’est cela, enseigner c’est recommencer jusqu’à notre nécessaire disparition de professeur. Si nous échouons à installer nos élèves dans l’indicatif présent de notre cours, si notre savoir et le goût de son usage ne prennent pas sur ces garçons et sur ces filles, au sens botanique du verbe, leur existence tanguera sur les fondrières d’un manque indéfini. Bien sûr nous n’aurons pas été les seuls à creuser ces galeries ou à ne pas avoir su les combler, mais ces femmes et ces hommes auront tout de même passé une ou plusieurs années de leur jeunesse, là, assis en face de nous. Et ce n’est pas rien, une année de scolarité fichue c’est l’éternité dans un bocal. 11. Il faudrait inventer un temps particulier pour l’apprentissage. Le présent d’incarnation, par exemple. Je suis ici, dans cette classe, et je comprends, enfin ! Ça y est ! Mon cerveau diffuse dans mon corps ça s’incarne. Quand ce n’est pas le cas, quand je n’y comprends rien, je me délite sur place, je me désintègre dans ce temps qui ne passe pas, je tombe en poussière et le moindre souffle m’éparpille. Seulement, pour que la connaissance ait une chance de s’incarner dans le présent d’un cours, il faut cesser d’y brandir le passé comme une honte et l’avenir comme un châtiment. 12. À propos, que deviennent-ils, ceux qui sont devenus ? F. est mort quelques mois après sa mise à la retraite. J. s’est jeté par la fenêtre la veille de la sienne. G. fait une dépression nerveuse. Tel autre en sort à peine. Les médecins de J. F. datent le début de son Alzheimer de la première année de sa retraite anticipée. Ceux de P. B. aussi. La pauvre L. pleure toutes les larmes de son corps pour avoir été licenciée du groupe de presse où elle croyait faire l’actualité ad vitam aeternam. Et je pense encore au cordonnier de P., mort de n’avoir pas trouvé repreneur à sa cordonnerie. Alors ma vie ne vaut rien ? » C’est ce qu’il ne cessait de répéter. Personne ne voulait racheter sa raison d’être. Tout ça pour rien ? » Il en est mort de chagrin. Celui-ci est diplomate; retraité dans six mois, il redoute plus que tout le face-à- face avec lui-même. Il cherche à faire autre chose conseiller international d’un groupe industriel ? Consultant en ceci ou en cela ? Quant à celui-là, il fut Premier ministre. Il en a rêvé trente ans durant, dès ses premiers succès électoraux. Sa femme l’y a toujours encouragé. C’est un routier de la politique, il savait que ce rôle- titre, le gouvernement Untel, était, par nature, temporaire. Et dangereux. Il savait qu’à la première occasion il serait la risée de la presse, une cible de choix, y compris pour son propre camp, bouc émissaire en chef. Sans doute connaissait-il la blague de Clemenceau sur son chef de cabinet, en 1917, Quand je pète, c’est lui qui pue ». Oui, le monde politique a de ces élégances. On y est d’autant plus cru entre amis » qu’on se doit de peser les déclarations publiques au milligramme. Donc, il devient Premier ministre. Il accepte ce contrat périlleux à durée limitée. Sa femme et lui se sont blindés en conséquence. Premier ministre pendant quelques années, bien. Les quelques années passent. Comme prévu, il saute. Il perd son ministère. Ses proches affirment qu’il accuse gravement le coup Il craint pour son avenir. » Tant et si bien qu’une dépression nerveuse l’entraîne jusqu’au bord du suicide. Maléfice du rôle social pour lequel nous avons été instruits et éduqués, et que nous avons joué toute notre vie », soit une moitié de notre temps de vivre ôtez- nous le rôle, nous ne sommes même plus l’acteur. Ces fins de carrière dramatiques évoquent un désarroi assez comparable à mes yeux au tourment de l’adolescent qui, croyant n’avoir aucun avenir, éprouve tant de douleur à durer. Réduits à nous-mêmes, nous nous réduisons à rien. Au point qu’il nous arrive de nous tuer. C’est, à tout le moins, une faille dans notre éducation. 13. Vint une année où je fus particulièrement mécontent de moi. Tout à fait malheureux d’être ce que j’étais. Assez désireux de ne pas devenir. La fenêtre de ma chambre donnait sur les baous de La Gaude et de Saint-Jeannet, deux rochers abrupts de nos Alpes du Sud, réputés abréger la souffrance des amoureux éconduits. Un matin que j’envisageais ces falaises avec un peu trop d’affection, on a frappé à la porte de ma chambre. C’était mon père. Il a juste passé sa tête par l’entrebâillement - Ah ! Daniel, j’ai complètement oublié de te dire le suicide est une imprudence. 14. Mais revenons à mes débuts. Bouleversée par mon cambriolage familial, ma mère était allée demander conseil au directeur de mon collège, un personnage débonnaire et perspicace, affublé d’un gros nez rassurant les élèves l’appelaient Tarin. Me jugeant plus anxieux et chétif que dangereux, Tarin préconisa l’éloignement et le grand air. Un séjour en altitude me remplumerait. Un pensionnat de montagne, oui, c’était la solution, j’y gagnerais des forces et j’y apprendrais les règles de la vie en communauté. Ne vous inquiétez pas, chère madame, vous n’êtes pas la mère d’Arsène Lupin mais d’un petit rêveur auquel on se doit de donner le sens des réalités. S’ensuivirent mes deux premières années de pension, cinquième et quatrième, où je ne retrouvais ma famille qu’à Noël, à Pâques et pour les grandes vacances. Les autres années, je les passerais dans des internats hebdomadaires. La question de savoir si je fus heureux » au pensionnat est assez secondaire. Disons que l’état de pensionnaire me fut infiniment plus supportable que celui d’externe. Il est difficile d’expliquer aux parents d’aujourd’hui les atouts de l’internat, tant ils l’envisagent comme un bagne. À leurs yeux, y envoyer ses enfants relève de l’abandon de paternité. Évoquer seulement la possibilité d’une année de pension, c’est passer pour un monstre rétrograde, adepte de la prison pour cancres. Inutile d’expliquer qu’on y a soi-même survécu, l’argument de l’autre époque vous est immédiatement opposé Oui, mais en ce temps-là on traitait les gosses à la dure ! » Aujourd’hui qu’on a inventé l’amour parental, la question de la pension est taboue, sauf comme menace, ce qui prouve qu’on ne la tient pas pour une solution. Et pourtant… Non, je ne vais pas faire l’apologie de la pension. Non. Essayons juste de décrire le cauchemar ordinaire d’un externe en échec scolaire ». 15. Quel externe ? Un de ceux dont m’entretiennent mes mères téléphoniques, par exemple, et qu’elles n’enverraient pour rien au monde en pension. Mettons les choses au mieux c’est un gentil garçon, aimé par sa famille; il ne veut la mort de personne mais, à force de ne rien comprendre à rien, il ne fait plus grand-chose et récolte des bulletins scolaires où les professeurs, exténués, laissent aller des appréciations sans espoir Aucun travail », N’a rien fait rien rendu », En chute libre », ou plus sobrement Que dire ? » J’ai, en écrivant ces lignes, ce bulletin et quelques autres sous les yeux. Suivons notre mauvais externe dans une de ses journées scolaires. Exceptionnellement, il n’est pas en retard – son carnet de correspondance l’a trop souvent rappelé à l’ordre ces derniers temps –, mais son cartable est presque vide livres, cahiers, matériel une fois de plus oubliés son professeur de musique écrira joliment sur son bulletin trimestriel Manque de flûte ». Bien entendu ses devoirs ne sont pas faits. Or sa première heure est une heure de mathématiques et les exercices de math sont de ceux qui manquent à l’appel. Ici, de trois choses l’une ou il n’a pas fait ces exercices parce qu’il s’est occupé à autre chose une vadrouille entre copains, un quelconque massacre vidéo dans sa chambre verrouillée…, ou il s’est laissé tomber sur son lit sous le poids d’une prostration molle et a sombré dans l’oubli, un flot de musique hurlant dans son crâne, ou – et c’est l’hypothèse la plus optimiste – il a, pendant une heure ou deux, bravement tenté de faire ses exercices mais n’y est pas arrivé. Dans les trois cas de figure, à défaut de copie, notre externe doit fournir une justification à son professeur. Or, l’explication la plus difficile à servir en l’occurrence est la vérité pure et simple Monsieur, madame, je n’ai pas fait mes exercices parce que j’ai passé une bonne partie de la nuit quelque part dans le cyberespace à combattre les soldats du Mal, que j’ai d’ailleurs exterminés jusqu’au dernier, vous pouvez me faire confiance. » Madame, monsieur, désolé pour ces exercices non faits mais hier soir j’ai cédé sous le poids d’une écrasante hébétude, impossible de remuer le petit doigt, juste la force de chausser mon baladeur. » La vérité présente ici l’inconvénient de l’aveu Je n’ai pas fait mon travail », qui appelle une sanction immédiate. Notre externe lui préférera une version institutionnellement plus présentable. Par exemple Mes parents étant divorcés, j’ai oublié mon devoir chez mon père avant de rentrer chez Maman. » En d’autres termes un mensonge. De son côté le professeur préfère souvent cette vérité aménagée à un aveu trop abrupt qui l’atteindrait dans son autorité. Le choc frontal est évité, l’élève et le professeur trouvent leur compte dans ce pas de deux diplomatique. Pour la note, le tarif est connu copie non remise, zéro. Le cas de l’externe qui a essayé, bravement mais en vain, de faire son devoir, n’est guère différent. Lui aussi entre en classe détenteur d’une vérité difficilement recevable Monsieur, j’ai consacré hier deux heures à ne pas faire votre devoir. Non, non, je n’ai pas fait autre chose, je me suis assis à ma table de travail, j’ai sorti mon cahier de texte, j’ai lu l’énoncé et, pendant deux heures, je me suis retrouvé dans un état de sidération mathématique, une paralysie mentale dont je ne suis sorti qu’en entendant ma mère m’appeler pour passer à table. Vous le voyez, je n’ai pas fait votre devoir, mais j’y ai bel et bien consacré ces deux heures. Après le dîner il était trop tard, une nouvelle séance de catalepsie m’attendait mon exercice d’anglais. » Si vous écoutiez davantage en classe, vous comprendriez vos énoncés ! » peut objecter à juste titre le professeur. Pour éviter cette humiliation publique, notre externe préférera lui aussi une présentation diplomatique des faits J’étais occupé à lire l’énoncé quand la chaudière a explosé. » Et ainsi de suite, du matin au soir, de matière en matière, de professeur en professeur, de jour en jour, dans une exponentielle du mensonge qui aboutit au fameux C’est ma mère !… Elle est morte ! » de François Truffaut. Après cette journée passée à mentir à l’institution scolaire, la première question que notre mauvais externe entendra en rentrant à la maison est l’invariable - Alors, ça s’est bien passé aujourd’hui ? - Très bien. Nouveau mensonge. Qui lui aussi demande à être coupé d’un soupçon de vérité - En histoire la prof m’a demandé 1515, j’ai répondu Marignan, elle était très contente ! Allez, ça tiendra bien jusqu’à demain. Mais demain vient aussitôt et les journées se répètent, et notre externe reprend ses va-et-vient entre l’école et la famille, et toute son énergie mentale s’épuise à tisser un subtil réseau de pseudo-cohérence entre les mensonges proférés à l’école et les demi-vérités servies à la famille, entre les explications fournies aux uns et les justifications présentées aux autres, entre les portraits à charge des professeurs qu’il fait aux parents et les allusions aux problèmes familiaux qu’il glisse à l’oreille des professeurs, un atome de vérité dans les uns et dans les autres, toujours, car ces gens-là finiront par se rencontrer, parents et professeurs, c’est inévitable, et il faut songer à cette rencontre, peaufiner sans cesse la fiction vraie qui fera le menu de cette entrevue. Cette activité mentale mobilise une énergie sans commune mesure avec l’effort consenti par le bon élève pour faire un bon devoir. Notre mauvais externe s’y épuise. Le voudrait-il il le veut sporadiquement qu’il n’aurait plus aucune force pour se mettre à travailler vraiment. La fiction où il s’englue le tient prisonnier ailleurs, quelque part entre l’école à combattre et la famille à rassurer, dans une troisième et angoissante dimension où le rôle dévolu à l’imagination consiste à colmater les innombrables brèches par où peut surgir le réel sous ses aspects les plus redoutés mensonge découvert, colère des uns, chagrin des autres, accusations, sanctions, renvoi peut-être, retour à soi-même, culpabilité impuissante, humiliation, délectation morose Ils ont raison, je suis nul, nul, nul. Je suis un nul. Or, dans la société où nous vivons, un adolescent installé dans la conviction de sa nullité voilà au moins une chose que l’expérience vécue nous aura apprise est une proie. 16. Les raisons pour lesquelles il arrive aux professeurs et aux parents de passer outre ces mensonges, voire d’en être complices, sont trop nombreuses pour être discutées. Combien de bobards quotidiens sur quatre ou cinq classes de trente-cinq élèves ? Peut légitimement se demander un professeur. Où trouver le temps nécessaire à ces enquêtes ? Suis-je, d’ailleurs, un enquêteur ? Dois-je, sur le plan de l’éducation morale, me substituer à la famille ? Si oui, dans quelles limites ? Et ainsi de suite, litanie d’interrogations dont chacune fait, un jour ou l’autre, l’objet d’une discussion passionnée entre collègues. Mais il est une autre raison pour laquelle le professeur ignore ces mensonges, une raison plus enfouie, qui, si elle accédait à la conscience claire, donnerait à peu près ceci Ce garçon est l’incarnation de mon propre échec professionnel. Je n’arrive ni à le faire progresser, ni à le faire travailler, tout juste à le faire venir en classe, et encore suis-je assuré de sa seule présence physique. Par bonheur, à peine entrevue, cette mise en cause personnelle est combattue par quantité d’arguments recevables J’échoue avec celui-ci, d’accord, mais je réussis avec beaucoup d’autres. Ce n’est tout de même pas ma faute si ce garçon se trouve en quatrième ! Que lui ont donc appris mes prédécesseurs ? Le collège unique est-il à mettre en cause ? À quoi pensent ses parents ? Imagine-t-on qu’avec mes effectifs et mes horaires je puisse lui faire rattraper un pareil retard ? Autant de questions qui, rameutant le passé de l’élève, sa famille, les collègues, l’institution elle-même, nous permettent de rédiger en toute conscience l’annotation la plus répandue des bulletins scolaires Manque de bases que j’ai trouvée jusque sur un bulletin de cours préparatoire !. Autrement dit patate chaude. Chaude, la patate l’est surtout pour les parents. Ils n’en finissent pas de la faire sauter d’une main dans l’autre. Les mensonges quotidiens de ce gosse les épuisent mensonges par omission, affabulations, explications exagérément détaillées, justifications anticipées En fait, ce qui s’est passé… » De guerre lasse bon nombre de parents feignent d’accepter ces fables débilitantes, pour calmer momentanément leur propre angoisse d’abord l’atome de vérité Marignan 1515 jouant son rôle de cachet d’aspirine, pour préserver l’atmosphère familiale ensuite, que le dîner ne tourne pas au drame, pas ce soir s’il vous plaît, pas ce soir, pour retarder l’épreuve des aveux qui déchire le cœur de chacun, bref, pour repousser le moment où on mesurera sans réelle surprise l’étendue de la bérézina scolaire en recevant le bulletin trimestriel, plus ou moins adroitement maquillé par le principal intéressé, qui tient à l’œil la boîte aux lettres familiale. Nous verrons demain, nous verrons demain… 17. Une des plus mémorables histoires de complicités adultes au mensonge d’un enfant est la mésaventure arrivée au frère de mon ami B. Il devait avoir douze ou treize ans, à l’époque. Comme il redoutait un contrôle de math, il demande à son meilleur copain de lui indiquer la place exacte de l’appendice. Sur quoi il s’effondre, simulant une crise terrible. La direction fait mine de le croire, le renvoie chez lui, ne serait-ce que pour s’en débarrasser. De là, les parents – à qui il en a fait d’autres – le conduisent sans grande illusion dans une clinique voisine, où, surprise, on l’opère sur- le-champ ! Après l’opération, le chirurgien apparaît, porteur d’un bocal où baigne un long machin sanguinolent et déclare, le visage rayonnant d’innocence J’ai bien fait de l’opérer, il était à deux doigts de la péritonite ! » Car les sociétés se bâtissent aussi sur le mensonge bien partagé. Ou cette autre histoire plus récente N., proviseur d’un lycée parisien, veille à l’absentéisme. Elle fait elle-même l’appel dans ses classes de terminale. Elle tient particulièrement à l’œil un récidiviste qu’elle a menacé d’exclusion à la prochaine absence injustifiée. Ce matin-là, le garçon est absent; c’est la fois de trop. N. appelle aussitôt la famille par le téléphone du secrétariat. La mère, désolée, lui affirme que son fils est bel et bien malade, au fond de son lit, brûlant de fièvre, et lui assure qu’elle était sur le point de prévenir le lycée. N. raccroche, satisfaite; tout est dans l’ordre. À ceci près qu’elle croise le garçon en retournant à son bureau. Il était tout simplement aux toilettes pendant l’appel. 18. En limitant les va-et-vient entre l’école et la famille, l’état de pensionnaire présente sur celui d’externe l’avantage d’installer notre élève dans deux temporalités distinctes l’école du lundi matin au vendredi soir, la famille pendant le week-end. Un groupe d’interlocuteurs pendant cinq jours ouvrables, l’autre pendant deux jours fériés qui retrouvent une chance de redevenir deux jours festifs. La réalité scolaire d’un côté, la réalité familiale de l’autre. S’endormir sans avoir à rassurer les parents par le mensonge du jour, se réveiller sans avoir à fourbir d’excuses pour le travail non fait, puisqu’il a été fait à l’étude du soir avec, dans le meilleur des cas, l’aide d’un surveillant ou d’un professeur. Du repos mental, en somme; une énergie récupérée qui a quelque chance d’être investie dans le travail scolaire. Est-ce suffisant pour propulser le cancre en tête de la classe ? Du moins est-ce lui donner une occasion de vivre le présent comme tel. Or, c’est dans la conscience de son présent que l’individu se construit, pas en le fuyant. Ici s’arrête mon éloge de la pension. Ah, si, tout de même, histoire de terroriser tout le monde j’ajouterai, pour y avoir enseigné moi-même, que les meilleurs internats sont ceux où les professeurs eux aussi sont pensionnaires. Disponibles à toute heure, en cas de SOS. 19. À noter que, durant ces vingt dernières années où la pension avait si mauvaise presse, trois des plus gros succès du cinéma et de la littérature populaires auprès de la jeunesse auront été Le cercle des poètes disparus, Harry Potter, et Les choristes, tous trois ayant pour cadre un pensionnat. Trois pensionnats assez archaïques de surcroît uniformes, rituels et châtiments corporels chez les Anglo-Saxons, blouses grises, bâtiments sinistres, professeurs poussiéreux et paires de baffes chez Les choristes. Il serait intéressant d’analyser le triomphe que fit auprès des jeunes spectateurs de 1989 Le cercle des poètes disparus, à peu près unanimement décrié par notre critique et nos salles de professeurs démagogie, complaisance, archaïsme, niaiserie, sentimentalisme, pauvreté cinématographique et intellectuelle, autant d’arguments qu’on ne peut raisonnablement contester… Reste que des hordes de lycéens s’y précipitèrent et en revinrent radieux. Les supposer enchantés par les seuls défauts du film c’est se faire une piètre opinion d’une génération entière. Les anachronismes du professeur Keating, par exemple, n’avaient pas échappé à mes élèves, ni sa mauvaise foi - Il n’est pas tout à fait honnête », monsieur, avec son Carpe diem, Keating, il en parle comme si nous étions toujours au XVIe siècle; or, au XVIe on mourait beaucoup plus jeune qu’aujourd’hui ! - Et puis, c’est dégueulasse, le début, quand il fait déchirer le manuel scolaire, un type qui se prétend si ouvert… Et pourquoi pas se mettre à brûler les livres qui lui déplaisent, tant qu’il y est ? Moi, j’aurais refusé. Cela déduit, mes élèves avaient adoré » le film. Tous et toutes s’identifiaient à ces jeunes Américains de la fin des années cinquante qui, socialement et culturellement parlant, leur étaient à peu près aussi proches que des Martiens. Tous et toutes raffolaient de l’acteur Robin Williams dont les adultes estimaient qu’il en faisait des tonnes. Son professeur Keating incarnait à leurs yeux la chaleur humaine et l’amour du métier passion pour la matière enseignée, dévouement absolu à ses élèves, le tout servi par un dynamisme de coach infatigable. Le vase clos de l’internat ajoutait à l’intensité de ses cours, il leur conférait un climat d’intimité dramatique qui élevait nos jeunes spectateurs à la dignité d’étudiants à part entière. À leurs yeux les cours de Keating étaient un rituel de passage qui ne regardait qu’eux et eux seuls. Ce n’était pas l’affaire de la famille. Ni d’ailleurs celle des professeurs. Ce qu’un de mes élèves exprima sans ambages - Bon, les profs n’aiment pas. Mais c’est notre film, c’est pas le vôtre ! Exactement ce qu’avaient dû penser la plupart des professeurs en question, vingt ans plus tôt, quand, lycéens eux-mêmes, ils avaient jubilé à la Palme d’or du Festival de Cannes 1969, intitulée If, une autre histoire de pensionnat, où les plus brillants élèves d’un collège ô combien britannique prenaient leur école d’assaut et, perchés sur les toits, tiraient à la mitrailleuse et au mortier sur les parents, l’évêque et les professeurs rassemblés pour la remise des prix. Spectateurs adultes scandalisés, comme il se doit, étudiants et lycéens exultant, bien entendu C’est notre film, pas le leur ! Apparemment, les temps avaient changé. Je me suis dit alors qu’une étude comparée de tous les films concernant l’école en dirait long sur les sociétés qui les avaient vus naître. Du Zéro de conduite de Jean Vigo à ce fameux Cercle des poètes disparus, en passant par Les disparus de Saint- Agil de Christian-Jaque 1939, La cage aux rossignols de Jean Dréville 1944, l’ancêtre des Choristes, Graine de violence de Richard Brooks USA, 1955, Les 400 coups de François Truffaut 1959, Le premier maître de Mikhalkov-Kontchalovski URSS, 1965, Le professeur de Zurlini 1972, à quoi on peut ajouter, après 1990, Le porteur de serviette de Daniele Luchetti 1991, Le tableau noir de l’Iranienne Samira Makhmalbaf 2000, L’esquive d’Abdellatif Kechiche 2002, et quelques dizaines encore. Mon projet d’étude comparée n’a pas dépassé le stade de l’intention; le traite qui veut, si ce n’est déjà fait. Voilà en tout cas un beau prétexte à rétrospective. La plupart de ces films ayant été d’énormes succès publics, on pourrait en tirer bon nombre d’enseignements intéressants, entre autres celui-ci que, depuis Rabelais, chaque génération de Gargantua éprouve une juvénile horreur des Holoferne et un gros besoin de Ponocrates, en d’autres termes l’envie toujours renouvelée de se former en supposant à l’air du temps, à l’esprit du lieu, et le désir de s’épanouir à l’ombre ou plutôt dans la clarté ! d’un maître jugé exemplaire. 20. Mais revenons à la question du devenir. Février 1959, septembre 1969. Dix années, donc, s’étaient écoulées entre la lettre calamiteuse que j’avais écrite à ma mère et celle que mon père envoyait à son fils professeur. Les dix années où je suis devenu. À quoi tient la métamorphose du cancre en professeur ? Et, accessoirement, celle de l’analphabète en romancier ? C’est évidemment la première question qui vient à l’esprit. Comment suis-je devenu ? La tentation est grande de ne pas répondre. En arguant, par exemple, que la maturation ne se laisse pas décrire, celle des individus pas plus que celle des oranges. À quel moment l’adolescent le plus rétif atterrit-il sur le terrain de la réalité sociale ? Quand décide-t-il de jouer, si peu que ce soit, ce jeu-là ? Est-ce seulement de l’ordre de la décision ? Quelle part y prennent l’évolution organique, la chimie cellulaire, le maillage du réseau neuronal ? Autant de questions qui permettent d’éviter le sujet. - Si ce que vous écrivez de votre cancrerie est vrai, pourrait-on m’objecter, cette métamorphose est un authentique mystère ! À ne pas y croire, en effet. C’est d’ailleurs le lot du cancre on ne le croit jamais. Pendant sa cancrerie on l’accuse de déguiser une paresse vicieuse en lamentations commodes Arrête de nous raconter des histoires et travaille ! » Et quand sa situation sociale atteste qu’il s’en est sorti on le soupçonne de se faire valoir Vous, un ancien cancre ? Allons donc, vous vous vantez ! » Le fait est que le bonnet d’âne se porte volontiers a posteriori. C’est même une décoration qu’on s’octroie couramment en société. Elle vous distingue de ceux dont le seul mérite fut de suivre les chemins du savoir balisé. Le gotha pullule d’anciens cancres héroïques. On les entend, ces malins, dans les salons, sur les ondes, présenter leurs déboires scolaires comme des hauts faits de résistance. Je ne crois, moi, à ces paroles, que si j’y perçois l’arrière-son d’une douleur. Car si l’on guérit parfois de la cancrerie, on ne cicatrise jamais tout à fait des blessures qu’elle nous infligea. Cette enfance-là n’était pas drôle, et s’en souvenir ne l’est pas davantage. Impossible de s’en flatter. Comme si l’ancien asthmatique se vantait d’avoir senti mille fois qu’il allait mourir d’étouffement ! Pour autant, le cancre tiré d’affaire ne souhaite pas qu’on le plaigne, surtout pas, il veut oublier, c’est tout, ne plus penser à cette honte. Et puis il sait, au fond de lui, qu’il aurait fort bien pu ne pas s’en sortir. Après tout, les cancres perdus à vie sont les plus nombreux. J’ai toujours eu le sentiment d’être un rescapé. Bref, que s’est-il passé en moi pendant ces dix années ? Comment m’en suis-je sorti ? Une constatation préalable adultes et enfants, on le sait, n’ont pas la même perception du temps. Dix ans ne sont rien aux yeux de l’adulte qui calcule par décennies la durée de son existence. C’est si vite passé, dix ans, quand on en a cinquante ! Sensation de rapidité qui, d’ailleurs, aiguise l’inquiétude des mères pour l’avenir de leur fils. Le bac dans cinq ans, déjà, mais c’est tout de suite ! Comment le petit peut-il changer si radicalement en si peu de temps ? Or, pour le petit, chacune de ces années-là vaut un millénaire; à ses yeux son futur tient tout entier dans les quelques jours qui viennent. Lui parler de l’avenir c’est lui demander de mesurer l’infini avec un décimètre. Si le verbe devenir » le paralyse, c’est surtout parce qu’il exprime l’inquiétude ou la réprobation des adultes. L’avenir, c’est moi en pire, voilà en gros ce que je traduisais quand mes professeurs m’affirmaient que je ne deviendrais rien. En les écoutant je ne me faisais pas la moindre représentation du temps, je les croyais, tout bonnement crétin à jamais, pour toujours, jamais » et toujours » étant les seules unités de mesure que l’orgueil blessé propose au cancre pour sonder le temps. Le temps… Je ne savais pas qu’il me faudrait vieillir pour avoir une perception logarithmique de son écoulement. J’étais d’ailleurs tout à fait ignorant des logs, de leurs tables, de leurs fonctions, de leurs échelles et de leurs courbes charmantes… Mais, devenu professeur, je sus d’instinct qu’il était vain de brandir le futur sous le nez de mes plus mauvais élèves. À chaque jour suffit sa peine, et à chaque heure dans cette journée, pourvu que nous y soyons pleinement présents, ensemble. Or, enfant, je n’y étais pas. Il me suffisait de pénétrer dans une classe pour en sortir. Comme un de ces rayons tombés des soucoupes volantes, il me semblait que le regard vertical du maître m’arrachait à ma chaise et m’expédiait instantanément ailleurs. Où cela ? Dans sa tête précisément ! La tête du maître ! C’était le laboratoire de la soucoupe volante. Le rayon m’y déposait. On y prenait toute la mesure de ma nullité, puis on me recrachait, par un autre regard, comme un détritus, et je roulais dans un champ d’épandage où je ne pouvais comprendre ni ce qu’on m’enseignait, ni d’ailleurs ce que l’école attendait de moi puisque j’étais réputé incapable. Ce verdict m’offrait les compensations de la paresse à quoi bon se tuer à la tâche si les plus hautes autorités considèrent que les carottes sont cuites ? On le voit, je développais une certaine aptitude à la casuistique. C’est une tournure d’esprit que, professeur, je repérais vite chez mes cancres. Puis vint mon premier sauveur. Un professeur de français. En troisième. Qui me repéra pour ce que j’étais un affabulateur sincère et joyeusement suicidaire. Épaté, sans doute, par mon aptitude à fourbir des excuses toujours plus inventives pour mes leçons non apprises ou mes devoirs non faits, il décida de m’exonérer de dissertations pour me commander un roman. Un roman que je devais rédiger dans le trimestre, à raison d’un chapitre par semaine. Sujet libre, mais prière de fournir mes livraisons sans faute d’orthographe, histoire d’élever le niveau de la critique ». Je me rappelle cette formule alors que j’ai tout oublié du roman lui-même. Ce professeur était un très vieil homme qui nous consacrait les dernières années de sa vie. Il devait arrondir sa retraite dans cette boîte on ne peut plus privée de la banlieue nord parisienne. Un vieux monsieur d’une distinction désuète, qui avait donc repéré en moi le narrateur. Il s’était dit que, dysorthographie ou pas, il fallait m’attaquer par le récit si l’on voulait avoir une chance de m’ouvrir au travail scolaire. J’écrivis ce roman avec enthousiasme. J’en corrigeais scrupuleusement chaque mot à l’aide du dictionnaire qui, de ce jour, ne me quitte plus, et je livrais mes chapitres avec la ponctualité d’un feuilletoniste professionnel. J’imagine que ce devait être un récit fort triste, très influencé que j’étais alors par Thomas Hardy, dont les romans vont de malentendu en catastrophe et de catastrophe en tragédie irréparable, ce qui ravissait mon goût du fatum rien à faire dès le départ, c’est bien mon avis. Je ne crois pas avoir fait de progrès substantiel en quoi que ce soit cette année-là mais, pour la première fois de ma scolarité, un professeur me donnait un statut; j’existais scolairement aux yeux de quelqu’un, comme un individu qui avait une ligne à suivre, et qui tenait le coup dans la durée. Reconnaissance éperdue pour mon bienfaiteur, évidemment, et quoiqu’il fût assez distant, le vieux monsieur devint le confident de mes lectures secrètes. - Alors, que lit-on, Pennacchioni, en ce moment ? Car il y avait la lecture. Je ne savais pas, alors, qu’elle me sauverait. À l’époque, lire n’était pas l’absurde prouesse d’aujourd’hui. Considérée comme une perte de temps, réputée nuisible au travail scolaire, la lecture des romans nous était interdite pendant les heures d’étude. D’où ma vocation de lecteur clandestin romans recouverts comme des livres de classe, cachés partout où cela se pouvait, lectures nocturnes à la lampe de poche, dispenses de gymnastique, tout était bon pour me retrouver seul avec un livre. C’est la pension qui m’a donné ce goût-là. Il m’y fallait un monde à moi, ce fut celui des livres. Dans ma famille, j’avais surtout regardé les autres lire mon père fumant sa pipe dans son fauteuil, sous le cône d’une lampe, passant distraitement son annulaire dans la raie impeccable de ses cheveux, un livre ouvert sur ses genoux croisés; Bernard, dans notre chambre, allongé sur le côté, genoux repliés, sa main droite soutenant sa tête… Il y avait du bien-être dans ces attitudes. Au fond, c’est la physiologie du lecteur qui m’a poussé à lire. Peut-être n’ai- je lu, au début, que pour reproduire ces postures et en explorer d’autres. En lisant je me suis physiquement installé dans un bonheur qui dure toujours. Que lisais-je ? Les contes d’Andersen, pour cause d’identification au Vilain petit canard, mais Alexandre Dumas aussi, pour le mouvement des épées, des chevaux et des cœurs. Et Selma Lagerlôf, le magnifique Gôsta Berling, ce pasteur ivrogne et splendide, banni par son évêque, dont je fus l’infatigable compagnon d’aventure avec les autres cavaliers d’Ekeby, La Guerre et la Paix, offert par Bernard pour mon entrée en quatrième je crois, l’histoire d’amour entre Natacha et le prince André à la première lecture – ce qui réduisait le roman à une centaine de pages –, l’épopée napoléonienne en troisième, à la deuxième lecture Austerlitz, Borodino, l’incendie de Moscou, la retraite de Russie j’avais dessiné une fresque immense de la bataille d’Austerlitz, où se massacraient les petits bonshommes de mon écriture clandestine, deux ou trois cents pages de mieux. Nouvelle lecture en seconde, pour l’amitié de Pierre Bezoukhov un autre vilain petit canard, mais qui comprenait plus de choses qu’on ne le croyait, et la totalité du roman enfin, en terminale, pour la Russie, pour le personnage de Koutouzov, pour Clausewitz, pour la réforme agraire, pour Tolstoï. Il y avait Dickens, évidemment – Oliver Twist avait besoin de moi –, Emily Brontë, dont le moral m’appelait au secours, Stevenson, Jack London, Oscar Wilde, et les premières lectures de Dostoïevski, Le joueur, bien sûr avec Dostoïevski, va savoir pourquoi, on commence toujours par Le joueur. Ainsi allaient mes lectures, au gré de ce que je trouvais dans la bibliothèque familiale et Tintin, bien sûr, et Spirou, et les Signes de piste ou les Bob Morane qui ravageaient l’époque. La première qualité des romans que j’emportais au collège était de ne pas être au programme. Personne ne m’interrogeait. Aucun regard ne lisait ces lignes pardessus mon épaule; leurs auteurs et moi demeurions entre nous. J’ignorais, en les lisant, que je me cultivais, que ces livres éveillaient en moi un appétit qui survivrait même à leur oubli. Ces lectures de jeunesse s’achevèrent par quatre portes ouvertes sur les signes du monde, quatre livres on ne peut plus différents mais qui tissèrent en moi, pour des raisons qui me demeurent en partie mystérieuses, des liens étroits de parenté Les liaisons dangereuses, À rebours, Mythologies de Roland Barthes et Les choses de Perec. Je n’étais pas un lecteur raffiné. N’en déplaise à Flaubert, je lisais comme Emma Bovary à quinze ans, pour la seule satisfaction de mes sensations, lesquelles, par bonheur, se révélèrent insatiables. Je ne tirais aucun bénéfice scolaire immédiat de ces lectures. Contre toutes les idées reçues, ces milliers de pages avalées et très vite oubliées n’améliorèrent pas mon orthographe, toujours incertaine aujourd’hui, d’où l’omniprésence de mes dictionnaires. Non, ce qui eut provisoirement raison de mes fautes mais ce provisoire rendait la chose définitivement possible, ce fut ce roman commandé par ce professeur qui refusait d’abaisser sa lecture à des considérations orthographiques. Je lui devais un manuscrit sans faute. Un génie de l’enseignement en somme. Pour moi seul, peut-être, et peut-être en cette seule circonstance, mais un génie ! J’ai croisé trois autres de ces génies entre ma classe de troisième et ma seconde terminale, trois autres sauveurs dont je parlerai plus loin un professeur de mathématiques qui était les mathématiques, une époustouflante professeur d’histoire qui pratiquait comme personne l’art de l’incarnation historique, et un professeur de philosophie que mon admiration surprend d’autant plus aujourd’hui que lui-même ne garde aucun souvenir de moi il me l’a écrit, ce qui le grandit encore à mes yeux puisqu’il m’éveilla l’esprit sans que je doive rien à son estime mais tout à son art. À eux quatre ces maîtres m’ont sauvé de moi-même. Sont-ils arrivés trop tard ? Les aurais-je si bien suivis, s’ils avaient été mes instituteurs ? Garderais-je un meilleur souvenir de mon enfance ? Quoi qu’il en soit, ils ont été mes heureux imprévus. Furent-ils, pour d’autres élèves, la révélation qu’ils ont été pour moi ? C’est une question qui se pose, tant la notion de tempérament joue son rôle en matière de pédagogie. Quand il m’arrive de rencontrer un ancien élève qui se déclare heureux des heures passées dans ma classe, je me dis qu’au même instant, sur un autre trottoir, se promène peut-être celui pour qui j’étais l’éteignoir de service. Un autre élément de ma métamorphose fut l’irruption de l’amour dans ma prétendue indignité. L’amour ! Parfaitement inimaginable à l’adolescent que je croyais être. La statistique, pourtant, disait son surgissement probable, voire certain. Mais non, pensez donc, inspirer de l’amour, moi ? Et à qui ? Il se présenta pour la première fois sous la forme d’une émouvante rencontre de vacances, s’exprima essentiellement dans une copieuse correspondance, et s’acheva par une rupture consentie au nom de notre jeunesse et de la distance géographique qui nous séparait. L’été suivant, le cœur brisé par la fin de cette passion semi-platonique, je m’engageai comme mousse sur un cargo, un des derniers liberty ships en service sur l’Atlantique, et jetai à la mer un paquet de lettres à faire ricaner les requins. Il fallut attendre deux ans pour qu’un autre amour devienne le premier, par l’importance que, dans ce domaine, les actes confèrent à la parole. Un autre genre d’incarnation, qui révolutionna ma vie et signa l’arrêt de mort de ma cancrerie. Une femme m’aimait ! Pour la première fois de ma vie mon nom résonnait à mes propres oreilles ! Une femme m’appelait par mon nom ! J’existais aux yeux d’une femme, dans son cœur, entre ses mains, et déjà dans ses souvenirs, son premier regard du lendemain me le disait ! Choisi parmi tous les autres ! Moi ! Préféré ! Moi ! Par elle ! Une élève d’hypokhâgne, qui plus est, quand j’allais redoubler ma terminale ! Mes derniers barrages sautèrent tous les livres lus nuitamment, ces milliers de pages pour la plupart effacées de ma mémoire, ces connaissances stockées à l’insu de tous et de moi-même, enfouies sous tant de couches d’oubli, de renoncement et d’autodénigrement, ce magma de mots bouillonnant d’idées, de sentiments, de savoirs en tout genre, fit soudain exploser la croûte d’infamie et jaillit dans ma cervelle qui prit des allures de firmament infiniment étoile ! En somme, je planais, comme disent les heureux d’aujourd’hui. J’aimais et on m’aimait ! Comment tant d’ardeur impatiente pouvait-elle susciter tant de calme et tant de certitude ? Quelle confiance me faisait-on, tout à coup ! Et quelle confiance avais-je soudain en moi ! Pendant les quelques années que dura ce bonheur, il ne fut plus question de faire l’imbécile. Les bouchées doubles, oui. Après le bac, j’éliminai en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire une licence et une maîtrise de lettres, l’écriture de mon premier roman, des cahiers entiers d’aphorismes que j’appelais sans rire mes Laconiques, et la production d’innombrables dissertations, dont certaines destinées aux khâgneuses amies de mon amie qui réclamaient mes lumières sur tel point d’histoire, de littérature ou de philosophie. Dans la foulée je m’étais même offert le luxe d’une hypokhâgne que j’abandonnai en cours de route pour la rédaction de ce fameux premier roman. Laisser aller ma propre plume, voler de mes propres ailes, dans mon propre ciel ! Je ne voulais rien d’autre. Et que mon amie continuât de m’aimer. À la blague de mon père sur la révolution nécessaire à ma licence et sur le risque d’un conflit planétaire si je tentais l’agrég, j’ai ri de bon cœur et rétorqué que, pas du tout, pas la révolution, Papa, l’amour, nom de Dieu ! L’amour depuis trois ans ! La révolution nous l’avons faite au lit, elle et moi ! Quant à l’agrég, pas d’agrég, je n’aime pas les jeux de hasard ! Ni de Capes ! Assez perdu de temps comme ça. Une maîtrise et basta le minimum vital du professeur. Petit prof, Papa. Dans des petites boîtes s’il le faut. Retour sur le lieu du crime. M’y occuper des gosses qui sont tombés dans la poubelle de Djibouti. M’occuper d’eux avec le clair souvenir de ce que je fus. Pour le reste, la littérature ! Le roman ! L’enseignement et le roman ! Lire, écrire, enseigner ! Mon réveil doit aussi beaucoup à la ténacité de ce père faussement lointain. Jamais découragé par mon découragement, il a su résister à toutes mes tentatives de fuite cette supplique véhémente, par exemple, à quatorze ans, pour qu’il me fasse entrer aux enfants de troupe. Nous en avons beaucoup ri vingt ans plus tard, quand, libéré de mon service, je lui ai donné à lire la mention inscrite sur mon livret militaire, Grades successifs deuxième classe. - Successivement deuxième classe, alors ? C’est bien ce que je pensais inapte à l’obéissance et aucun goût pour le commandement. Il y eut ce vieil ami aussi, Jean Rolin, professeur de philo, père de Nicolas, de Jeanne et de Jean-Paul, mes compagnons d’adolescence. Chaque fois que je ratais le bac, il m’invitait dans un excellent restaurant, pour me convaincre, une fois de plus, que chacun va son rythme et que je faisais tout bonnement un retard d’éclosion. Jean, mon cher Jean, que ces pages – si tardives en effet – te fassent sourire, au paradis des philosophes. 21. Bref, on devient. Mais on ne change pas tellement. On fait avec ce qu’on est. Voilà qu’à la fin de cette deuxième partie, je m’offre une crise de doute. Doute quant à la nécessité de ce livre, doute quant à mes capacités à l’écrire, doute sur moi- même tout simplement, doute qui s’épanouira bientôt en considérations ironiques sur l’ensemble de mon travail, voire ma vie entière… Doute proliférant… Ces crises sont fréquentes. Elles ont beau être un héritage de ma cancrerie, je ne m’y habitue pas. On doute toujours pour la première fois et j’ai le doute ravageur. Il me pousse vers ma pente naturelle. Je résiste mais de jour en jour je redeviens le mauvais élève que j’essaye de décrire. Les symptômes sont rigoureusement pareils à ceux de mes treize ans rêverie, procrastination, éparpillement, hypocondrie, nervosité, délectation morose, sautes d’humeur, jérémiades et, pour finir, sidération devant l’écran de mon ordinateur, comme jadis devant l’exercice à faire, l’interro à préparer… Je suis là, ricane le cancre que je fus. Je lève les yeux. Mon regard erre sur le Vercors sud. Pas une maison à l’horizon. Ni une route. Ni un individu. Des champs pierreux bordés de montagnes rases où s’épanouissent par-ci par-là des bouquets de hêtres comme des panaches silencieux. Sur tout ce vide bourgeonne immensément un ciel de menace. Dieu que j’aime ce paysage ! Au fond, une de mes grandes joies aura été de m’offrir cet exil qu’enfant je réclamais à mes parents… Cet horizon en deçà duquel nul n’a de comptes à rendre à personne. Sauf ce petit lapin à cette buse, là-haut, qui a des vues sur lui… Au désert, le tentateur, ce n’est pas le diable, c’est le désert lui-même tentation naturelle de tous les abandons. Bon, ça va comme ça, arrête ton cirque, remets-toi au travail. 22. Et on se remet au travail. Ligne après ligne on continue de devenir, avec ce livre qui se fait. On devient. Les uns après les autres, nous devenons. Ça se passe rarement comme prévu, mais une chose est sûre nous devenons. La semaine dernière, comme je sors d’un cinéma, une petite fille, neuf ou dix ans, me course dans la rue et me rattrape tout essoufflée - Monsieur, monsieur ! Quoi donc ? Ai-je oublié mon parapluie au cinoche ? Tout sourire, la petite désigne du doigt un type qui nous regarde, de l’autre côté de la rue. - C’est mon grand-père, monsieur ! Grand-père ébauche un salut un peu gêné. - Il n’ose pas vous dire bonjour, mais vous avez été son professeur. Nom d’un chien, son grand-père ! J’ai été le professeur de son grand-père ! Eh oui, nous devenons. Vous quittez une gamine en quatrième, nulle, nulle, nulle, de son propre aveu Qu’est-ce que j’étais nulle ! », et vingt ans plus tard une jeune femme vous interpelle dans une rue d’Ajaccio, radieuse, assise à la terrasse d’un café - Monsieur, Ne touchez pas l’épaule du cavalier qui passe ! Vous vous arrêtez, vous vous retournez, la jeune femme vous sourit, vous lui récitez la suite de L’allée, ce poème de Supervielle qu’apparemment vous connaissez tous les deux Il se retournerait Et ce serait la nuit, Une nuit sans étoile, Sans courbe ni nuage. Elle éclate de rire, elle demande - Que deviendrait alors Tout ce qui fait le ciel, La lune et son passage Et le bruit du soleil ? Et vous répondez à l’enfant réapparue dans le sourire de la femme, l’enfant rétive à qui vous aviez jadis appris ce poème Il vous faudrait attendre qu’un second cavalier Aussi puissant que l’autre Consentît à passer. À Paris, je bavarde avec des amis, dans un café. D’une table voisine un homme me pointe du doigt en me regardant fixement. Je lève les yeux et lui demande d’un hochement de front ce qu’il me veut. Il m’appelle alors par un autre nom que le mien - Don Segundo Sombra ! Ce faisant, il me fait faire un bond vertigineux dans le temps. - Toi, je t’ai eu en 1982 ! En cinquième. - Tout juste, monsieur. Et cette année-là vous nous avez lu Don Segundo Sombra, un roman argentin, de Ricardo Guiraldes. Je ne me rappelle jamais le nom de ces élèves de rencontre, ni d’ailleurs leurs visages, mais dès les premiers vers, les premiers titres de romans évoqués, les premières allusions à un cours précis, quelque chose se recompose de l’adolescent qui ne voulait pas lire ou de la petite qui prétendait ne rien comprendre à rien; ils me redeviennent aussi familiers que les vers de Supervielle ou le nom de Segundo Sombra qui, eux, va savoir pourquoi, n’ont pas subi l’érosion du temps. Ils sont à la fois cette gamine apeurée et cette jeune femme qui fait aujourd’hui la mode de sa génération, ce garçon buté et ce commandant de bord qui bouquine au-dessus des océans, pilote automatique enclenché. À chaque rencontre, on constate qu’une vie s’est épanouie, aussi imprévisible que la forme d’un nuage. Et n’allez pas vous imaginer que ces destins doivent tant que ça à votre influence de professeur ! Je regarde l’heure à la montre gousset que Minne, ma femme, m’a offerte pour quelque ancien anniversaire et qui ne me quitte jamais. Ce genre de montre à double boîtier s’appelle une savonnette. Donc, je consulte ma savonnette et voilà que je glisse quinze ans en arrière, lycée H, salle F, où je suis occupé à surveiller une soixantaine de premières et de terminales qui planchent dans un silence d’avenir. Tous noircissent du papier à qui mieux mieux, sauf Emmanuel, sur ma droite, près de la fenêtre à trois ou quatre rangs de mon estrade. Nez au vent, copie blanche, Emmanuel. Nos regards se croisent. Le mien se fait explicite Alors quoi ? copie blanche ? tu vas t’y mettre, oui ? Emmanuel me fait signe d’approcher. Je l’ai eu comme élève deux ans plus tôt. Malin, vif, cossard, inventif, drôle et déterminé. Et, pour l’instant, copie ostensiblement blanche. Je consens à m’approcher, histoire de lui secouer les puces, mais il coupe court à mon tir de semonce en lâchant, dans un soupir définitif - Si vous saviez comme ça m’emmerde, monsieur ! Que faut-il faire d’un pareil élève ? L’abattre sur place ? Dans l’expectative, et bien que ce ne soit pas le moment, je demande - Et peut-on savoir ce qui t’intéresse ? - Ça. Répond-il en me rendant ma savonnette, qu’il m’a fauchée sans que je m’en aperçoive. - Et ça, ajoute-t-il en me rendant mon stylo. - Pickpocket ? Tu veux devenir pickpocket ? - Prestidigitateur, monsieur. Ce qu’il devint, ma foi, qu’il est encore, et renommé, sans que j’y sois pour rien. Oui, il arrive parfois que des projets se réalisent, que des vocations s’accomplissent, que le futur honore ses rendez-vous. Un ami m’assure qu’une surprise m’attend dans le restaurant où il m’invite. J’y vais. La surprise est de taille. C’est Rémi, le maître-queux du lieu. Impressionnant du haut de son mètre quatre- vingts et sous sa blanche toque de chef ! Je ne le reconnais pas d’abord, mais il me rafraîchit la mémoire en déposant sous mes yeux une copie rédigée par lui et corrigée par moi vingt-cinq ans plus tôt. 13/20. Sujet Faites votre portrait à quarante ans. Or, l’homme de quarante ans qui se tient debout devant moi, souriant et vaguement intimidé par l’apparition de son vieux professeur, est très exactement celui que le jeune garçon décrivait dans sa copie le chef d’un restaurant dont il comparait les cuisines à la salle des machines d’un paquebot de haute mer. Le correcteur avait apprécié, en rouge, et avait émis le souhait de s’asseoir un jour à la table de ce restaurant… C’est le genre de situation où vous ne regrettez pas d’être devenu ce professeur que, désormais, vous n’êtes plus. Nous devenons, nous devenons, tous autant que nous sommes, et nous nous croisons parfois entre devenus. Isabelle, la semaine dernière, rencontrée dans un théâtre, étonnamment semblable en sa proche quarantaine à la gamine de seize ans qui fut mon élève en seconde… Elle avait échoué dans ma classe après son deuxième renvoi. Mon deuxième renvoi en trois ans, tout de même ! » Orthophoniste à présent, au sourire avisé. Comme les autres, elle me demande - Vous vous souvenez d’Unetelle ? Et d’Untel ? Et de tel autre ? Hélas, ô mes élèves, ma fichue mémoire se refuse toujours à l’archivage des noms propres. Leurs majuscules continuent de faire barrage. Il me suffisait des grandes vacances pour oublier la plupart de vos noms, alors, vous pensez, avec toutes ces années ! Une sorte de siphonage permanent lessive ma cervelle, qui élimine, avec les vôtres, le nom des auteurs que je lis, les titres de leurs bouquins ou ceux des films que je vois, les villes que je traverse, les itinéraires que je suis, les vins que je bois… Ce qui ne signifie pas que vous sombriez dans mon oubli ! Qu’il me soit seulement donné de vous revoir cinq minutes, et la bouille confiante de Rémi, le grand rire de Nadia, la malice d’Emmanuel, la gentillesse pensive de Christian, la vivacité d’Axelle, l’inoxydable bonne humeur d’Arthur ressuscitent l’élève dans cet homme ou cette femme qui me font, en me croisant, le plaisir de reconnaître leur professeur. Je peux bien vous l’avouer aujourd’hui, votre mémoire a toujours été plus véloce et plus fiable que la mienne, même en ces temps où nous apprenions ensemble ces textes hebdomadaires que nous devions pouvoir nous réciter mutuellement à n’importe quel moment de l’année. Bon an mal an, une trentaine de textes en tout genre, dont Isabelle déclare fièrement - Je n’en ai pas oublié un seul, monsieur ! - J’imagine que tu avais tes préférés… - Oui, celui-ci par exemple, dont vous aviez précisé que nous serions mûrs pour le comprendre dans une soixantaine d’années. Et de me réciter le texte en question qui, en effet, tombe à pic pour clore le chapitre du devenir Mon grand-père avait coutume de dire La vie est étonnamment brève. Dans mon souvenir elle se ramasse aujourd’hui sur elle-même si serrée que je comprends à peine par exemple qu’un jeune homme puisse se décider à partir à cheval pour le plus proche village sans craindre que tout accident écarté une existence ordinaire et se déroulant sans heurts ne suffise pas, de bien loin, même pour cette promenade. » Dans une esquisse de révérence Isabelle lâche le nom de l’auteur Franz Kafka. Et précise - Dans la traduction de Vialatte, celle que vous préfériez. III - Y ou le présent d’incarnation Je n’y arriverai jamais 1. - J’y arriverai jamais, m’sieur. - Tu dis ? - J’y arriverai jamais ! - Où veux-tu aller ? - Nulle part ! Je veux aller nulle part ! - Alors pourquoi as-tu peur de ne pas y arriver ? - C’est pas ce que je veux dire ! - Qu’est-ce que tu veux dire ? - Que j’y arriverai jamais, c’est tout ! - Écris-nous ça au tableau Je n’y arriverai jamais. Je ni arriverai jamais. - Tu t’es trompé de n’y. Celui-ci est une conjonction négative, je t’expliquerai plus tard. Corrige. N’y, ici, s’écrit n apostrophe, y. Et arriver prend deux r. Je n’y arriverai jamais. - Bon. Qu’est-ce que c’est que ce y », d’après toi ? - Je sais pas. - Qu’est-ce qu’il veut dire ? - Je sais pas. - Eh bien il faut absolument qu’on trouve ce qu’il veut dire, parce que c’est lui qui te fait peur, ce y ». - J’ai pas peur. - Tu n’as pas peur ? - Non. - Tu n’as pas peur de ne pas y arriver ? - Non, je m’en branle. - Pardon ? - Ça m’est égal, quoi, je m’en moque ! - Tu te moques de ne pas y arriver ? - Je m’en moque, c’est tout. - Et ça, tu peux l’écrire au tableau ? - Quoi, je m’en moque ? - Oui. Je mens moque. - M apostrophe en. Là tu as écrit le verbe mentir à la première personne du présent. Je m’en moque. - Bon, et ce en » justement, qu’est-ce que c’est que ce en » ? - Ce en », qu’est-ce que c’est ? - Je sais pas, moi… C’est tout ça ! - Tout ça quoi ? - Tout ce qui me gonfle ! 2. Dès les premières heures de cours, cette année-là, nous nous étions attaqués à ce y », à ce en », à ce tout », à ce ça », mes élèves et moi. C’est par eux que nous avions entamé l’assaut du bastion grammatical. Si nous voulions nous installer solidement dans l’indicatif présent de notre cours, il fallait régler leur compte à ces mystérieux agents de désincarnation. Priorité absolue ! Nous avons donc fait la chasse aux pronoms flous. Ces mots énigmatiques se présentaient comme autant d’abcès à vider. Y », d’abord. Nous avons commencé par ce fameux y » auquel on n’arrive jamais. Passons sur sa dénomination de pronom adverbial qui résonne comme du chinois à l’oreille de l’élève qui l’entend pour la première fois, ouvrons-lui le ventre, extirpons-en tous les sens possibles, nous lui collerons son étiquette grammaticale en le recousant, après avoir remis en place ses entrailles dûment répertoriées. Les grammairiens lui accordent une valeur imprécise. Eh bien précisons, précisons ! En l’occurrence, cette année-là, pour ce garçon-là, qui braillait et lâchait des gros mots comme on roule des mécaniques, y » était le souvenir cuisant d’un exercice de math sur lequel il venait de se casser les dents. L’exercice avait déclenché la crise stylo jeté, cahier claqué de toute façon j’y comprends rien, je m’en branle, ça me gonfle, etc., élève fichu à la porte et piquant une nouvelle crise à l’heure suivante, chez moi, en français, où il se heurtait à une autre difficulté, grammaticale celle-là, mais qui le renvoyait brutalement au souvenir de la précédente… - J’y arriverai jamais, je vous dis. L’école c’est pas fait pour moi, m’sieur ! Débat national, mon petit gars, et bientôt séculaire. Savoir si l’école est faite pour toi ou toi pour l’école, tu n’imagines pas comme on s’étripe à ce propos dans l’olympe éducatif. - Il y a trois ans, pensais-tu que tu serais un jour en quatrième ? - Pas vraiment, non. Et puis, en CM2 ils voulaient que je redouble. - Eh bien tu y es quand même, en quatrième. Tu y es arrivé. À l’ancienneté, peut-être, en piètre état je te l’accorde, de plus ou moins bon gré, ça te regarde, à plus ou moins juste titre, ça se discute en haut lieu, mais tu y es quand même arrivé, le fait est là, et nous tous avec toi, et maintenant que nous y sommes, nous allons y passer l’année, y travailler, en profiter pour résoudre quelques problèmes, à commencer par les plus urgents de tous cette peur de ne pas y arriver, cette tentation de t’en foutre, et cette manie de tout fourrer dans le même tout. Il y a des tas de gens, dans cette ville, qui ont peur de ne pas y arriver et qui croient s’en foutre… Mais ils ne s’en foutent pas du tout; ils friment, ils dépriment, ils dérivent, ils gueulent, ils cognent, ils jouent à faire peur, mais s’il y a une chose dont ils ne se foutent pas, c’est bien de ce y » et de ce en » qui leur pourrissent la vie, et de ce tout » qui les gonfle. - Ça sert à rien, de toute façon ! - D’accord, on va s’occuper de ce ça », aussi et de ce rien ». Et du verbe servir », tant qu’on y est. Parce qu’il commence à me taper sur les nerfs, le verbe servir » ! Ça sert à rien, ça sert à rien, et dans ta bouche, maintenant, il sert à quoi, le verbe servir » ? Il est temps de lui poser la question. Cette année-là, donc, nous avons ouvert le ventre de ce y », de ce en », de ce ça », de ce tout », de ce rien ». Chaque fois qu’ils faisaient irruption dans la classe, nous partions à la recherche de ce que nous cachaient ces mots si déprimants. Nous avons vidé ces outres infiniment extensibles de ce qui alourdit la barque de l’élève en perdition, nous les avons vidées comme on écope un canot sur le point de couler, et nous avons examiné de près le contenu de ce que nous jetions par-dessus bord Y » cet exercice de math d’abord, qui avait mis le feu aux poudres. Y » celui de grammaire, ensuite, qui avait rallumé l’incendie. La grammaire, ça me gonfle encore plus que les math, m’sieur ! Et ainsi de suite y », la langue anglaise qui ne se laissait pas saisir, y », la techno qui le gonflait comme le reste dix ans plus tard elle lui prendrait la tête et dix ans plus tard encore elle le gaverait, y », les résultats que tous les adultes attendaient vainement de lui, bref y », tous les aspects de sa scolarité. D’où l’apparition du en », de s’en moquer s’en foutre, s’en taper, s’en branler, histoire de tester la résistance des oreilles enseignantes. Encore une vingtaine d’années et s’en battre les couilles viendrait s’ajouter à la liste. En », le constat quotidien de son échec, En », l’opinion que les adultes ont de lui, En », ce sentiment d’humiliation qu’il préfère reconvertir en haine des professeurs et en mépris des bons élèves… D’où son refus de chercher à comprendre l’énorme ça » qui ne sert à rien », cette envie permanente d’être ailleurs, de faire autre chose, n’importe où ailleurs et n’importe quoi d’autre. Leur dissection scrupuleuse de ce y » révéla à ces élèves l’image qu’ils se faisaient d’eux-mêmes des nuls fourvoyés dans un univers absurde, qui préféraient s’en foutre, puisqu’ils ne s’y voyaient aucun avenir. - Même pas en rêve, monsieur ! No future. Y » ou l’avenir inaccessible. Seulement à ne s’envisager aucun futur, on ne s’installe pas non plus dans le présent. On est assis sur sa chaise mais ailleurs, prisonnier des limbes de la déploration, un temps qui ne passe pas, une sorte de perpétuité, un sentiment de torture qu’on ferait payer à n’importe qui, et au prix fort. D’où ma résolution de professeur user de l’analyse grammaticale pour les ramener ici, maintenant, afin d’y éprouver le délice très particulier de comprendre à quoi sert un pronom adverbial, un mot capital qu’on utilise mille fois par jour, sans y penser. Parfaitement inutile, devant cet élève en colère, de se perdre en arguties morales ou psychologiques, l’heure n’est pas au débat, elle est à l’urgence. Une fois y » et en » vidés et nettoyés, nous les avons dûment étiquetés. Deux pronoms adverbiaux fort pratiques pour noyer le poisson dans une conversation épineuse. Nous les avons comparés à des caves du langage, ces pronoms, à des greniers inaccessibles, à une valise qu’on n’ouvre jamais, à un paquet oublié dans une consigne dont on aurait perdu la clef. - Une planque, monsieur, une sacrée planque ! Pas si bonne en l’occurrence. On croit s’y cacher et voilà que la planque nous digère. Y » et en » nous avalent et nous ne savons plus qui nous sommes. 3. Les maux de grammaire se soignent par la grammaire, les fautes d’orthographe par l’exercice de l’orthographe, la peur de lire par la lecture, celle de ne pas comprendre par l’immersion dans le texte, et l’habitude de ne pas réfléchir par le calme renfort d’une raison strictement limitée à l’objet qui nous occupe, ici, maintenant, dans cette classe, pendant cette heure de cours, tant que nous y sommes. J’ai hérité cette conviction de ma propre scolarité. On m’y a beaucoup fait la morale, on a souvent essayé de me raisonner, et avec bienveillance, car les gentils ne manquent pas chez les professeurs. Le directeur du collège où m’avait expédié mon cambriolage domestique, par exemple. C’était un marin, un ancien commandant de bord, rompu à la patience des océans, père de famille et mari attentif d’une épouse qu’on disait atteinte d’un mal mystérieux. Un homme fort occupé par les siens et par la direction de ce pensionnat où les cas de mon espèce ne manquaient pas. Combien d’heures a-t-il pourtant épuisées à me convaincre que je n’étais pas l’idiot que je prétendais être, que mes rêves d’exil africain étaient des tentatives de fuite, et qu’il suffisait de me mettre sérieusement au travail pour lever l’hypothèque que mes jérémiades faisaient peser sur mes aptitudes ! Je le trouvais bien bon de s’intéresser à moi, lui qui avait tant de soucis, et je promettais de me reprendre, oui, oui, tout de suite. Seulement, dès que je me retrouvais en cours de math, ou à l’étude du soir penché sur une leçon de sciences naturelles, il ne restait plus rien de l’invincible confiance que j’avais retirée de notre entretien. C’est que nous n’avions pas parlé d’algèbre, monsieur le directeur et moi, ni de la photosynthèse, mais de volonté, mais de concentration, c’était de moi que nous avions parlé, un moi tout à fait susceptible de progresser, il en était convaincu, si je m’y mettais vraiment ! Et ce moi, gonflé d’un soudain espoir, jurait de s’appliquer, de ne plus se raconter d’histoires; hélas, dix minutes plus tard, confronté à l’algébricité du langage mathématique, il se vidait comme une baudruche, ce moi, et à l’étude du soir il n’était plus que renoncement devant le goût inexplicable des plantes pour le gaz carbonique via l’étrange chlorophylle. Je redevenais le crétin familier qui n’y comprendrait jamais rien, pour la raison qu’il n’y avait jamais rien compris. De cette mésaventure tant de fois répétée, la conviction m’est restée qu’il fallait parler aux élèves le seul langage de la matière que je leur enseignais. Peur de la grammaire ? Faisons de la grammaire. Pas d’appétit pour la littérature ? Lisons ! Car, aussi étrange que cela puisse vous paraître, ô nos élèves, vous êtes pétris des matières que nous vous enseignons. Vous êtes la matière même de toutes nos matières. Malheureux à l’école ? Peut-être. Chahutés par la vie ? Certains, oui. Mais à mes yeux, faits de mots, tous autant que vous êtes, tissés de grammaire, remplis de discours, même les plus silencieux ou les moins armés en vocabulaire, hantés par vos représentations du monde, pleins de littérature en somme, chacun d’entre vous, je vous prie de me croire. 4. Vanité des interventions psychologiques les mieux intentionnées. Classe de première. Jocelyne est en larmes, le cours ne peut pas commencer. Il n’y a pas plus étanche que le chagrin pour faire écran au savoir. Le rire, on peut l’éteindre d’un regard, mais les larmes… - Est-ce que quelqu’un a une histoire drôle en réserve ? Il faut faire rire Jocelyne pour qu’on puisse commencer. Creusez-vous la cervelle. Une histoire très drôle. Budget, trois minutes, pas plus; Montesquieu nous attend. L’histoire drôle jaillit. Elle est drôle en effet. Tout le monde rigole, y compris Jocelyne, que j’invite à venir me parler pendant la récréation, si elle en éprouve le besoin. - D’ici là, tu ne t’occupes que de Montesquieu. Récré. Jocelyne m’expose son malheur. Ses parents ne s’entendent plus. Ils se disputent du matin au soir. Se disent des horreurs. La vie à la maison est infernale, la situation déchirante. Bon, me dis-je, encore deux coureurs de fond qui ont mis vingt ans à se trouver mal assortis; il y a du divorce dans l’air. Jocelyne, qui n’est pas une mauvaise élève, dégringole dans toutes les matières. Et me voilà bricolant dans son chagrin. Mieux vaut, lui dis-je très prudemment, peut-être, le divorce, tu sais, Jocelyne, enfin… deux divorcés apaisés te seront plus supportables qu’un couple acharné à se détruire… Etc. Jocelyne fond de nouveau en larmes - Justement, monsieur, ils avaient décidé de divorcer, mais ils viennent d’y renoncer ! Ah ! Bon. Bon, bon, bon. Bien. C’est toujours plus compliqué que ne le croit l’apprenti psychologue. - Connais-tu Maisie Farange ? - Non, qui c’est ? - C’est la fille de Beale Farange et de sa femme, dont j’ai oublié le prénom. Deux divorcés célèbres en leur temps. Maisie était petite quand ils se sont séparés, mais elle n’en a pas perdu une miette. Tu devrais faire sa connaissance. C’est un roman. D’un Américain. Henry James. Ce que savait Maisie. Roman complexe au demeurant, que Jocelyne lut durant les semaines suivantes, stimulée par le terrain même de la bataille conjugale. Ils se balancent les mêmes arguments que les Farange, monsieur ! » Eh oui, pour être saignante de vrai sang, la guerre des couples et le chagrin des enfants n’en sont pas moins littéraires. Cela dit, quand Montesquieu fait l’honneur de sa présence à notre classe, on se doit d’être présent à Montesquieu. 5. Leur présence en classe… Pas commode, pour ces garçons et ces filles de fournir cinquante-cinq minutes de concentration, dans cinq ou six cours successifs, selon cet emploi si particulier que l’école fait du temps. Quel casse-tête, l’emploi du temps ! Répartition des classes, des matières, des heures, des élèves, en fonction du nombre de salles, de la constitution des demi- groupes, du nombre de matières optionnelles, de la disponibilité des labos, des desiderata incompatibles du professeur de ceci et de la professeur de cela… Il est vrai qu’aujourd’hui la tête du proviseur est sauvée par l’ordinateur auquel il confie ces paramètres Désolé pour votre mercredi après-midi, madame Untel, c’est l’ordinateur. » - Cinquante-cinq minutes de français, expliquais-je à mes élèves, c’est une petite heure avec sa naissance, son milieu et sa fin, une vie entière, en somme. Cause toujours, auraient-ils pu me répondre, une vie de littérature qui ouvre sur une vie de mathématiques, laquelle donne sur une pleine existence d’histoire, qui vous propulse sans raison dans une autre vie, anglaise celle-là, ou allemande, ou chimique, ou musicale… Ça en fait des réincarnations en une seule journée ! Et sans aucune logique ! C’est Alice au pays des merveilles, votre emploi du temps on prend le thé chez le lièvre de mars et on se retrouve sans transition à jouer au croquet avec la reine de cœur. Une journée passée dans le shaker de Lewis Carroll, le merveilleux en moins, vous parlez d’une gymnastique ! Et ça se donne des allures de rigueur, par- dessus le marché, une absolue pagaille taillée comme un jardin à la française, bosquet de cinquante-cinq minutes par bosquet de cinquante-cinq minutes. Il n’y a guère que la journée d’un psychanalyste et le salami du charcutier pour être découpés en tranches aussi égales. Et ça, toutes les semaines de l’année ! Le hasard sans la surprise, un comble ! Il serait tentant de leur répondre Cessez de rouspéter, chers élèves, et mettez-vous à notre place, votre comparaison avec le psychanalyste n’est d’ailleurs pas mauvaise; tous les jours dans son cabinet, le pauvre, à voir défiler le malheur du monde, et nous dans nos classes à voir défiler son ignorance, par groupes de trente- cinq et à heure fixe, notre vie entière, laquelle perception logarithmique ou pas est beaucoup plus longue que votre trop brève jeunesse, vous verrez, vous verrez… Mais non, ne jamais demander à un élève de se mettre à la place d’un professeur, la tentation du ricanement est trop forte. Et ne jamais lui proposer de mesurer son temps au nôtre notre heure n’est vraiment pas la sienne, nous n’évoluons pas dans la même durée. Quant à lui parler de nous ou de lui-même, pas question hors sujet. Nous en tenir à ce que nous avons décidé cette heure de grammaire doit être une bulle dans le temps. Mon travail consiste à faire en sorte que mes élèves se sentent exister grammaticalement pendant ces cinquante-cinq minutes. Pour y parvenir, ne pas perdre de vue que les heures ne se ressemblent pas les heures de la matinée ne sont pas celles de l’après-midi; les heures du réveil, les heures digestives, celles qui précèdent les récréations, celles qui les suivent, toutes sont différentes. Et l’heure qui succède au cours de math ne se présente pas comme celle qui suit le cours de gym… Ces différences n’ont guère d’incidence sur l’attention des bons élèves. Ceux-ci jouissent d’une faculté bénie changer de peau à bon escient, au bon moment, au bon endroit, passer de l’adolescent agité à l’élève attentif, de l’amoureux éconduit au matheux concentré, du joueur au bûcheur, de Tailleurs à l’ici, du passé au présent, des mathématiques à la littérature… C’est leur vitesse d’incarnation qui distingue les bons élèves des élèves à problèmes. Ceux-ci, comme le leur reprochent leurs professeurs, sont souvent ailleurs. Ils se libèrent plus difficilement de l’heure précédente, ils traînent dans un souvenir ou se projettent dans un quelconque désir d’autre chose. Leur chaise est un tremplin qui les expédie hors de la classe à la seconde où ils s’y posent. À moins qu’ils ne s’y endorment. Si je veux espérer leur pleine présence mentale, il me faut les aider à s’installer dans mon cours. Les moyens d’y arriver ? Cela s’apprend, surtout sur le terrain, à la longue. Une seule certitude, la présence de mes élèves dépend étroitement de la mienne de ma présence à la classe entière et à chaque individu en particulier, de ma présence à ma matière aussi, de ma présence physique, intellectuelle et mentale, pendant les cinquante-cinq minutes que durera mon cours. 6. Ô le souvenir pénible des cours où je n’y étais pas ! Comme je les sentais flotter, mes élèves, ces jours-là, tranquillement dériver pendant que j’essayais de rameuter mes forces. Cette sensation de perdre ma classe… Je n’y suis pas, ils n’y sont plus, nous avons décroché. Pourtant, l’heure s’écoule. Je joue le rôle de celui qui fait cours, ils font ceux qui écoutent. Bien sérieuse notre mine commune, blabla d’un côté, griffonnage de l’autre, un inspecteur s’en satisferait peut-être; pourvu que la boutique ait l’air ouverte… Mais je n’y suis pas, nom d’un chien, je n’y suis pas, aujourd’hui, je suis ailleurs. Ce que je dis ne s’incarne pas, ils se foutent éperdument de ce qu’ils entendent. Ni questions ni réponses. Je me replie derrière le cours magistral. L’énergie démesurée que je dilapide alors pour faire prendre ce ridicule filet de savoir ! Je suis à cent lieues de Voltaire, de Rousseau, de Diderot, de cette classe, de ce bahut, de cette situation, je m’épuise à réduire la distance mais pas moyen, je suis aussi loin de ma matière que de ma classe. Je ne suis pas le professeur, je suis le gardien du musée, je guide mécaniquement une visite obligatoire. Ces heures ratées me laissaient sur les genoux. Je sortais de ma classe épuisé et furieux. Une fureur dont mes élèves risquaient de faire les frais toute la journée, car il n’y a pas plus prompt à vous engueuler qu’un professeur mécontent de lui-même. Attention les mômes, rasez les murs, votre prof s’est donné une mauvaise note, le premier responsable venu fera l’affaire ! Sans parler de la correction de vos copies, ce soir, à la maison. Un domaine où la fatigue et la mauvaise conscience ne sont pas bonnes conseillères ! Mais non, pas de copies ce soir, et pas de télé, pas de sortie, au lit ! La première qualité d’un professeur, c’est le sommeil. Le bon professeur est celui qui se couche tôt. 7. Elle est immédiatement perceptible, la présence du professeur qui habite pleinement sa classe. Les élèves la ressentent dès la première minute de l’année, nous en avons tous fait l’expérience le professeur vient d’entrer, il est absolument là, cela s’est vu à sa façon de regarder, de saluer ses élèves, de s’asseoir, de prendre possession du bureau. Il ne s’est pas éparpillé par crainte de leurs réactions, il ne s’est pas recroquevillé sur lui-même, non, il est à son affaire, d’entrée de jeu, il est présent, il distingue chaque visage, la classe existe aussitôt sous ses yeux. Cette présence, je l’ai éprouvée une nouvelle fois, il y a peu, au Blanc-Mesnil, où m’invitait une jeune collègue qui avait plongé ses élèves dans un de mes romans. Quelle matinée j’ai passée là ! Bombardé de questions par des lecteurs qui semblaient posséder mieux que moi la matière de mon livre, l’intimité de mes personnages, qui s’exaltaient sur certains passages et s’amusaient à épingler mes tics d’écriture… Je m’attendais à répondre à des questions sagement rédigées, sous l’œil d’un professeur légèrement en retrait, soucieux du seul ordre de la classe, comme cela m’arrive assez souvent, et voilà que j’étais pris dans le tourbillon d’une controverse littéraire où les élèves me posaient fort peu de questions convenues. Quand l’enthousiasme emportait leurs voix au-dessus du niveau de décibels supportable, leur professeur m’interrogeait elle-même, deux octaves plus bas, et la classe entière se rangeait à cette ligne mélodique. Plus tard, dans le café où nous déjeunions, je lui ai demandé comment elle s’y prenait pour maîtriser tant d’énergie vitale. Elle a d’abord éludé - Ne jamais parler plus fort qu’eux, c’est le truc. Mais je voulais en savoir davantage sur la maîtrise qu’elle avait de ces élèves, leur bonheur manifeste d’être là, la pertinence de leurs questions, le sérieux de leur écoute, le contrôle de leur enthousiasme, leur emprise sur eux-mêmes quand ils n’étaient pas d’accord entre eux, l’énergie et la gaieté de l’ensemble, bref tout ce qui tranchait tellement avec la représentation effrayante que les médias propagent de ces classes blackébeures. Elle fit la somme de mes questions, réfléchit un peu et répondit - Quand je suis avec eux ou dans leurs copies je ne suis pas ailleurs. Elle ajouta - Mais, quand je suis ailleurs, je ne suis plus du tout avec eux. Son ailleurs, en l’occurrence, était un quatuor à cordes qui exigeait de son violoncelle l’absolu que réclame la musique. Du reste, elle voyait un rapport de nature entre une classe et un orchestre. - Chaque élève joue de son instrument, ce n’est pas la peine d’aller contre. Le délicat, c’est de bien connaître nos musiciens et de trouver l’harmonie. Une bonne classe, ce n’est pas un régiment qui marche au pas, c’est un orchestre qui travaille la même symphonie. Et si vous avez hérité du petit triangle qui ne sait faire que ting ting, ou de la guimbarde qui ne fait que bloïng bloïng, le tout est qu’ils le fassent au bon moment, le mieux possible, qu’ils deviennent un excellent triangle, une irréprochable guimbarde, et qu’ils soient fiers de la qualité que leur contribution confère à l’ensemble. Comme le goût de l’harmonie les fait tous progresser, le petit triangle finira lui aussi par connaître la musique, peut-être pas aussi brillamment que le premier violon, mais il connaîtra la même musique. Elle eut une moue fataliste - Le problème, c’est qu’on veut leur faire croire à un monde où seuls comptent les premiers violons. Un temps - Et que certains collègues se prennent pour des Karajan qui supportent mal de diriger l’orphéon municipal. Ils rêvent tous du Philharmonique de Berlin, ça peut se comprendre… Puis, en nous quittant, comme je lui répétais mon admiration, elle répondit - Il faut dire que vous êtes venu à dix heures. Ils étaient réveillés. 8. Il y a l’appel du matin. Entendre son nom prononcé par la voix du professeur, c’est un second réveil. Le son que fait votre nom à huit heures du matin a des vibrations de diapason. - Je ne peux pas me résoudre à négliger les appels, surtout celui du matin, m’explique une autre professeur – de math, cette fois –, même si je suis pressée. Réciter une liste de noms comme on compte des moutons, ce n’est pas possible. J’appelle mes lascars en les regardant, je les accueille, je les nomme un à un, et j’écoute leur réponse. Après tout, l’appel est le seul moment de la journée où le professeur a l’occasion de s’adresser à chacun de ses élèves, ne serait-ce qu’en prononçant son nom. Une petite seconde où l’élève doit sentir qu’il existe à mes yeux, lui et pas un autre. Quant à moi, j’essaye autant que possible de saisir son humeur du moment au son que fait son Présent ». Si sa voix est fêlée, il faudra éventuellement en tenir compte. L’importance de l’appel… Nous jouions à un petit jeu, mes élèves et moi. Je les appelais, ils répondaient, et je répétais leur Présent », à mi-voix mais sur le même ton, comme un lointain écho - Manuel ? - Présent ! - Présent ». Laetitia ? - Présente ! - Présente ». Victor ? - Présent ! - Présent ». Carole ? - Présente ! » - Présente ». Rémi ? J’imitais le Présent » retenu de Manuel, le Présent » clair de Laetitia, le Présent » vigoureux de Victor, le Présent » cristallin de Carole… J’étais leur écho du matin. Certains s’appliquaient à rendre leur voix le plus opaque possible, d’autres s’amusaient à changer d’intonation pour me surprendre, ou répondaient Oui », ou Je suis là », ou C’est bien moi ». Je répétais tout bas la réponse, quelle qu’elle fût, sans manifester de surprise. C’était notre moment de connivence, le bonjour matinal d’une équipe qui allait se mettre à l’ouvrage. Mon ami Pierre, lui, professeur à Ivry, ne fait jamais l’appel. - Enfin, deux ou trois fois au début de l’année, le temps de connaître leurs noms et leurs visages. Autant passer tout de suite aux choses sérieuses. Ses élèves attendent en rangs, dans le couloir, devant la porte de sa classe. Partout ailleurs dans le collège, on court, on s’interpelle, on bouscule les chaises et les tables, on envahit l’espace, on sature le volume sonore; Pierre, lui, attend que les rangs se forment, puis il ouvre la porte, regarde garçons et filles entrer un par un, échange par-ci par-là un Bonjour » qui va de soi, referme la porte, se dirige à pas mesurés vers son bureau, les élèves attendant, debout derrière leurs chaises. Il les prie de s’asseoir, et commence Bon, Karim, où en étions-nous ? » Son cours est une conversation qui reprend là où elle s’est interrompue. À la gravité qu’il met à sa tâche, à l’affectueuse confiance que lui portent ses élèves, à leur fidélité une fois devenus adultes, j’ai toujours vu mon ami Pierre comme une réincarnation de l’oncle Jules. - Au fond, tu es l’oncle Jules du Val-de-Marne ! Il éclate de son rire formidable - Tu as raison, mes collègues me prennent pour un prof du XIXe siècle ! Ils croient que je collectionne les marques de respect extérieur, que la mise en rangs, les gosses debout derrière leur chaise, ce genre de trucs, tient à une nostalgie des temps anciens. Remarque, ça n’a jamais fait de mal à personne, un peu de politesse, mais en l’occurrence il s’agit d’autre chose en installant mes élèves dans le silence, je leur donne le temps d’atterrir dans mon cours, de commencer par le calme. De mon côté, j’examine leurs têtes, je note les absents, j’observe les groupes qui se font et se défont; bref, je prends la température matinale de la classe. Aux dernières heures de l’après-midi, quand nos élèves tombaient de fatigue, Pierre et moi pratiquions sans le savoir le même rituel. Nous leur demandions d’écouter la ville lui Ivry, moi Paris. Suivaient deux minutes d’immobilité et de silence où le boucan du dehors confirmait la paix du dedans. Ces heures-là, nous faisions nos cours à voix plus basse; souvent nous les terminions par une lecture. 9. En aura-t-elle proféré, des sottises, ma génération, sur les rituels considérés comme marque de soumission aveugle, la notation estimée avilissante, la dictée réactionnaire, le calcul mental abrutissant, la mémorisation des textes infantilisante, ce genre de proclamation… Il en va de la pédagogie comme du reste dès que nous cessons de réfléchir sur des cas particuliers or, dans ce domaine, tous les cas sont particuliers, nous cherchons, pour régler nos actes, l’ombre de la bonne doctrine, la protection de l’autorité compétente, la caution du décret, le blanc-seing idéologique. Puis nous campons sur des certitudes que rien n’ébranle, pas même le démenti quotidien du réel. Trente ans plus tard seulement, si l’Éducation nationale entière vire de bord pour éviter l’iceberg des désastres accumulés, nous nous autorisons un timide virage intérieur, mais c’est le virage du paquebot lui-même, et nous voilà suivant le cap d’une nouvelle doctrine, sous la houlette d’un nouveau commandement, au nom de notre libre arbitre bien entendu, éternels anciens élèves que nous sommes. 10. Réactionnaire, la dictée ? Inopérante en tout cas, si elle est pratiquée par un esprit paresseux qui se contente de défalquer des points dans le seul but de décréter un niveau ! Avilissante, la notation ? Certes, quand elle ressemble à cette cérémonie, vue il y a peu à la télévision, d’un professeur rendant leurs copies à ses élèves, chaque devoir lâché devant chaque criminel comme un verdict annoncé, le visage du professeur irradiant la fureur et ses commentaires vouant tous ces bons à rien à l’ignorance définitive et au chômage perpétuel. Mon Dieu, le silence haineux de cette classe ! Cette réciprocité manifeste du mépris ! 11. J’ai toujours conçu la dictée comme un rendez-vous complet avec la langue. La langue telle qu’elle sonne, telle qu’elle raconte, telle qu’elle raisonne, la langue telle qu’elle s’écrit et se construit, le sens tel qu’il se précise par l’exercice méticuleux de la correction. Car il n’y a pas d’autre but à la correction d’une dictée que l’accès au sens exact du texte, à l’esprit de la grammaire, à l’ampleur des mots. Si la note doit mesurer quelque chose, c’est la distance parcourue par l’intéressé sur le chemin de cette compréhension. Ici comme en analyse littéraire, il s’agit de passer de la singularité du texte quelle histoire va-t-on me raconter ? à l’élucidation du sens qu’est-ce que tout cela veut dire exactement ?, en transitant par la passion du fonctionnement comment ça marche ?. Quelles qu’aient été mes terreurs d’enfant à l’approche d’une dictée et Dieu sait que mes professeurs pratiquaient la dictée comme une razzia de riches dans un quartier pauvre !, j’ai toujours éprouvé la curiosité de sa première lecture. Toute dictée commence par un mystère que va-t-on me lire là ? Certaines dictées de mon enfance étaient si belles qu’elles continuaient à fondre en moi comme un bonbon acidulé, longtemps après la note infamante qu’elles m’avaient pourtant coûtée. Mais, ce zéro en orthographe, ou ce moins 15, ce moins 27 !, j’en avais fait un refuge dont personne ne pouvait me chasser. Inutile de m’épuiser en corrections puisque le résultat m’était connu d’avance ! Combien de fois, enfant, ai-je affirmé à mes professeurs ce que mes élèves me répéteraient à leur tour si souvent - De toute façon j’aurai toujours zéro en dictée ! - Ah bon, Nicolas ? Qu’est-ce qui te fait croire ça ? - J’ai toujours eu zéro ! - Moi aussi, m’sieur ! - Toi aussi, Véronique ? - Et moi aussi, moi aussi ! - C’est une épidémie, alors ! Levez le doigt, ceux qui ont toujours eu zéro en orthographe. C’était une conversation de début d’année, pendant notre prise de contact, avec des quatrièmes par exemple; elle ouvrait systématiquement sur la première dictée d’une longue série - D’accord, on va bien voir. Prenez une feuille, écrivez Dictée. - Oh, non m’sieueueueur ! - Ça ne se négocie pas. Dictée. Écrivez Nicolas prétend qu’il aura toujours zéro en orthographe… Nicolas prétend… Une dictée non préparée, que j’imaginais sur place, écho instantané à leur aveu de nullité Nicolas prétend qu’il aura toujours zéro en orthographe, pour la seule raison qu’il n’a jamais obtenu une autre note. Frédéric, Sami et Véronique partagent son opinion. Le zéro, qui les poursuit depuis leur première dictée, les a rattrapés et avalés. À les entendre, chacun d’eux habite un zéro d’où il ne peut pas sortir. Ils ne savent pas qu’ils ont la clé dans leur poche. Pendant que j’imaginais le texte, y distribuant un petit rôle à chacun d’eux, histoire d’émoustiller leur curiosité, je faisais mes comptes grammaticaux un participe conjugué avec avoir, COD placé derrière; un présent singulier précédé d’un pronom complément pluriel et d’un pronom relatif sujet; deux autres participes avec avoir, COD placé devant; un infinitif précédé d’un pronom complément, etc. La dictée achevée, nous entamions sa correction immédiate - Bon, Nicolas, lis-nous la première phrase. - Nicolas prétend qu’il aura toujours zéro en orthographe. - C’est la première phrase ? Elle s’arrête là, tu es sûr ? -… - Lis attentivement. - Ah ! Non, pour la raison qu’il n’a jamais obtenu une autre note. - Bien. Quel est le premier verbe conjugué ? - Prétend ? - Oui. Infinitif ? - Prétendre. - Quel groupe ? - Euh… - Troisième, je t’expliquerai tout à l’heure. Quel temps ? - Présent. - Le sujet ? - Moi. Enfin, Nicolas. - La personne ? - Troisième personne du singulier. - Troisième personne de prétendre au présent, oui. Faites attention à la terminaison. À toi, Véronique, quel est le deuxième verbe de cette phrase ? -a! - a ? Le verbe avoir ? Tu en es sûre ? Relis. -… -… - Non, pardon, m’sieur, c’est a obtenu. C’est le verbe obtenir ! - À quel temps ? Une correction qui reprend tout de zéro puisque c’est de là que nous affirmons partir. En quatrième ? Eh oui ! tout reprendre de zéro en quatrième ! Jusqu’en troisième il n’est jamais trop tard pour repartir de zéro, quoi qu’on pense des impératifs du programme ! Je ne vais quand même pas entériner un perpétuel manque de bases, renier systématiquement la patate chaude au collègue suivant ! Allez, on repart de zéro chaque verbe interrogé, chaque nom, chaque adjectif, chaque lien, pas à pas, une langue qu’ils ont mission de reconstruire à chaque dictée, mot à mot, groupe à groupe. - Raison, nom commun, féminin singulier. - Un déterminant ? - La ! - Qu’est-ce que c’est, comme déterminant ? - Un article ! - Quel genre d’article ? - Défini ! - Raison a-t-il un adjectif qualificatif ? Devant ? Derrière ? Loin ? Près ? - Devant, oui seule. Derrière… aucun. Pas d’adjectif derrière. Juste seule. - Faites l’accord si vous avez oublié de le faire. Ces dictées, quotidiennes, des premières semaines se présentaient sous la forme de brefs récits où nous tenions le journal de la classe. Elles n’étaient pas préparées. Dès leur point final elles ouvraient sur cette correction immédiate, millimétrique et collective. Puis venait la correction secrète du professeur, la mienne, chez moi, et la remise des copies le lendemain, la note, la fameuse note, histoire de voir la tête que ferait Nicolas en sortant pour la première fois de son zéro. La bouille de Nicolas, de Véronique ou de Sami le jour où ils brisaient la coquille de l’œuf orthographique. Affranchis de la fatalité ! Enfin ! Oh, la charmante éclosion ! De dictée en dictée, l’assimilation des raisonnements grammaticaux déclenchait des automatismes qui rendaient les corrections de plus en plus rapides. Les championnats de dictionnaire faisaient le reste. C’était la partie olympique de l’exercice. Une sorte de récréation sportive. Il s’agissait, chronomètre en main, d’arriver le plus vite possible au mot recherché, de l’extraire du dictionnaire, de le corriger, de le réimplanter dans le cahier collectif de la classe et dans un petit carnet individuel, et de passer au mot suivant. La maîtrise du dictionnaire a toujours fait partie de mes priorités et j’ai formé de prodigieux athlètes sur ce terrain, des sportifs de douze ans qui vous tombaient sur le mot recherché en deux coups, trois maximum ! Le sens du rapport entre la classification alphabétique et l’épaisseur d’un dictionnaire, voilà un domaine où bon nombre de mes élèves me battaient à plate couture ! Tant que nous y étions, nous avions étendu l’étude des systèmes de classification aux librairies et aux bibliothèques en y recherchant les auteurs, les titres et les éditeurs des romans que nous lisions en classe ou que je leur racontais. Arriver le premier sur le titre de son choix, c’était un défi ! Parfois, le libraire offrait le livre au gagnant. Ainsi allaient nos dictées quotidiennes jusqu’au jour où je passai commande de la dictée suivante à un de mes anciens nuls - Sami, s’il te plaît, écris-nous la dictée de demain un texte de six lignes avec deux verbes pronominaux, un participe avec avoir », un infinitif du premier groupe, un adjectif démonstratif, un adjectif possessif, deux ou trois mots difficiles que nous avons vus ensemble et un ou deux petits trucs de ton choix. Véronique, Sami, Nicolas et les autres concevaient les textes à tour de rôle, les dictaient eux-mêmes et en guidaient la correction. Cela, jusqu’à ce que chaque élève de la classe puisse voler de ses propres ailes, devenir, sans aucune aide, dans le silence de sa tête, son propre et méthodique correcteur. Les échecs il y en avait, bien sûr relevaient le plus souvent d’une cause extrascolaire une dyslexie, une surdité non repérées… Cet élève de troisième, par exemple, dont les fautes ne ressemblaient à rien, altération du i ou du é en a, du u en o, et qui s’avéra ne pas entendre les fréquences aiguës. Sa mère n’avait pas pensé une seconde que le garçon pût être sourd. Quand il revenait du marché, ayant oublié une partie des commissions, quand il répondait à côté, quand il semblait ne pas avoir entendu ce qu’elle lui disait, abîmé qu’il était dans une lecture, dans un puzzle ou dans une maquette de voilier, elle mettait ses silences sur le compte d’une distraction qui l’émouvait. J’ai toujours cru que mon fils était un grand rêveur. » L’imaginer sourd était au-dessus de ses forces de mère. Un audiogramme et un examen très précis de la vue devraient être obligatoires avant l’entrée de chaque enfant à l’école. Ils éviteraient les jugements erronés des professeurs, pallieraient l’aveuglement de la famille, et libéreraient les élèves de douleurs mentales inexplicables. Une fois chacun sorti de son zéro, les dictées devenaient moins nombreuses et plus longues, dictées hebdomadaires et littéraires, dictées signées Hugo, Valéry, Proust, Tournier, Kundera, si belles parfois que nous les apprenions par cœur, comme ce texte de Cohen emprunté au Livre de ma mère Mais pourquoi les hommes sont-ils méchants ? Pourquoi sont-ils si vite haineux, hargneux ? Pourquoi adorent-ils se venger, dire vite du mal de vous, eux qui vont bientôt mourir, les pauvres ? Que cette horrible aventure des humains qui arrivent sur cette terre, rient, bougent, puis soudain ne bougent plus, ne les rende pas bons, c’est incroyable. Et pourquoi vous répondent-ils si vite d’une voix de cacatoès, si vous êtes doux avec eux, ce qui leur donne à penser que vous êtes sans importance, c’est-à-dire sans danger ? Ce qui fait que des tendres doivent faire semblant d’être méchants pour qu’on leur fiche la paix, ou même, ce qui est tragique, pour qu’on les aime. Et si on allait se coucher et affreusement dormir ? Chien endormi n’a pas de puces. Oui, allons dormir, le sommeil a les avantages de la mort sans son petit inconvénient. Allons nous installer dans l’agréable cercueil. Comme j’aimerais pouvoir ôter, tel l’édenté son dentier qu’il met dans un verre d’eau près de son lit, ôter mon cerveau de sa boîte, ôter mon cœur trop battant, ce pauvre bougre qui fait trop bien son devoir, ôter mon cerveau et mon cœur et les baigner, ces deux pauvres milliardaires, dans des solutions rafraîchissantes tandis que je dormirais comme un petit enfant que je ne serai jamais plus. Qu’il y a peu d’humains et que soudain le monde est désert. Venait enfin l’heure de gloire le jour où je débarquais chez mes quatrièmes, voire mes sixièmes, avec les dissertations que mes secondes ou mes premières confiaient à leur correction orthographique Mes abonnés au zéro métamorphosés en correcteurs ! La volée des moineaux orthographiques s’abattant sur ces copies ! - Le mien, il ne fait aucun accord, m’sieur ! - La mienne, il y a des phrases, on ne sait pas où elles commencent ni où elles finissent… - Quand j’ai corrigé une faute, qu’est-ce que je marque dans la marge ? - Ma foi, ce que tu veux… Protestations rigolardes des intéressés, découvrant les observations de ces correcteurs impitoyables - Non mais, regardez ce qu’il a écrit dans la marge Crétin ! Abruti ! Patate ! En rouge ! - C’est que tu as dû oublier un accord… S’ensuivait, dans les rangs des grands, une campagne de correction qui, pour l’essentiel, empruntait la méthode appliquée par les petits interroger verbes et noms avant de rendre sa dissertation, faire les accords appropriés, bref, se livrer à un réglage grammatical qui a pour mérite de révéler les errances de certaines phrases, donc l’approximation de certains raisonnements. À cette occasion, on découvrait, et cela faisait l’objet de quelques cours, que la grammaire est le premier outil de la pensée organisée et que la fameuse analyse logique dont on conservait bien entendu un souvenir abominable ajuste les mouvements de notre réflexion, laquelle se trouve aiguisée par le bon usage des fameuses propositions subordonnées. Il arrivait même qu’on s’offrît, entre grands, une petite dictée, histoire de mesurer le rôle joué par les subordonnées dans le développement d’un raisonnement bien mené. Un jour, La Bruyère en personne nous y aida. - Tenez, prenez une feuille, et regardez comment, en opposant subordonnées et principales, La Bruyère annonce – en une seule phrase ! – la fin d’un monde et le commencement d’un autre. Je vais vous lire le texte et vous en traduire les mots aujourd’hui incompréhensibles. Écoutez bien. Ensuite vous écrirez en prenant votre temps, je dicterai lentement, vous irez pas à pas, comme si vous raisonniez vous- mêmes ! Pendant que les grands négligent de rien connaître, je ne dis pas seulement aux intérêts des princes et aux affaires publiques, mais à leurs propres affaires; qu’ils ignorent l’économie et la science d’un père de famille, et qu’ils se louent eux-mêmes de cette ignorance; qu’ils se laissent appauvrir et maîtriser par des intendants; qu’ils se contentent d’être gourmets ou coteaux, d’aller chez Thaïs et chez Phryné, de parler de la meute et de l’arrière-meute, de dire combien il y a de poste de Paris à Besançon, ou à Philisbourg, des citoyens s’instruisent du dedans et du dehors d’un royaume, étudient le gouvernement, deviennent fins et politiques, savent le fort et le faible de tout un État, songent à se mieux placer, se placent, s’élèvent, deviennent puissants, soulagent le prince d’une partie des soins publics. - Et maintenant, l’estocade Les grands, qui les dédaignent, les révèrent heureux s’ils deviennent leurs gendres. - Deux principales, dont la seconde est elliptique, heureux ils sont heureux, tricotées avec deux subordonnées, la relative qui les dédaignent et la conditionnelle finale, meurtrière s’ils deviennent leurs gendres. 12. Et pourquoi ne pas apprendre ces textes par cœur ? Au nom de quoi ne pas s’approprier la littérature ? Parce que ça ne se fait plus depuis longtemps ? On laisserait s’envoler des pages pareilles comme des feuilles mortes, parce que ce n’est plus de saison ? Ne pas retenir de telles rencontres, est-ce envisageable ? Si ces textes étaient des êtres, si ces pages exceptionnelles avaient des visages, des mensurations, une voix, un sourire, un parfum, ne passerions-nous pas le reste de notre vie à nous mordre le poing de les avoir laissé filer ? Pourquoi se condamner à n’en conserver qu’une trace qui s’estompera jusqu’à n’être plus que le souvenir d’une trace… Il me semble, oui, avoir étudié au lycée un texte, de qui déjà ? La Bruyère ? Montesquieu ? Fénelon ? Quel siècle, XVIIe ? XVIIIe ? Un texte qui en une seule phrase décrivait le glissement d’un ordre à un autre… » Au nom de quel principe, ce gâchis ? Uniquement parce que les professeurs d’antan étaient réputés nous faire réciter des poésies souvent idiotes et qu’aux yeux de certains vieux chnoques la mémoire était un muscle à entraîner plus qu’une bibliothèque à enrichir ? Ah ! ces poèmes hebdomadaires auxquels nous ne comprenions rien, chacun chassant le précédent, à croire qu’on nous entraînait surtout à l’oubli ! D’ailleurs, nos professeurs nous les donnaient-ils parce qu’ils les aimaient, ou parce que leurs propres maîtres leur avaient seriné qu’ils appartenaient au Panthéon des Lettres Mortes ? Eux aussi, ils m’en ont collé, des zéros ! Et des heures de colle ! Évidemment, Pennacchioni, on n’a pas appris sa récitation ! » Mais si, monsieur, je la savais encore hier soir, je l’ai récitée à mon frère, seulement c’était de la poésie hier soir, mais vous ce matin c’est une récitation que vous attendez, et moi ça me constipe, cette embuscade. Bien entendu, je ne disais rien de tout cela, j’avais beaucoup trop peur. Je n’y reviens, à cette terrifiante épreuve de la récitation au pied de l’estrade, que pour essayer de m’expliquer le mépris où l’on tient aujourd’hui toute sollicitation de la mémoire. Ce serait donc pour conjurer ces fantômes qu’on déciderait de ne pas s’incorporer les plus belles pages de la littérature et de la philosophie ? Des textes interdits de souvenir parce que des imbéciles n’en faisaient qu’une affaire de mémoire ? Si tel est le cas, c’est qu’une idiotie a chassé l’autre. On peut m’objecter qu’un esprit organisé n’a nullement besoin d’apprendre par cœur. Il sait faire son miel de la substantifique moelle. Il retient ce qui fait sens et, quoi que j’en dise, il conserve intact le sentiment de la beauté. D’ailleurs, il peut vous retrouver n’importe quel bouquin en un tournemain dans sa bibliothèque, tomber pile sur les bonnes lignes, en deux minutes. Moi-même, je sais où mon La Bruyère m’attend, je le vois sur son étagère, et mon Conrad, et mon Lermontov, et mon Perros, et mon Chandler… toute ma compagnie est là, alphabétiquement dispersée dans ce paysage que je connais si bien. Sans parler du cyberespace où je peux, du bout de mon index, consulter toute la mémoire de l’humanité. Apprendre par cœur ? À l’heure où la mémoire se compte en gigas ! Tout cela est vrai, mais l’essentiel est ailleurs. En apprenant par cœur, je ne supplée à rien, j’ajoute à tout. Le cœur, ici, est celui de la langue. S’immerger dans la langue, tout est là. Boire la tasse et en redemander. En faisant apprendre tant de textes à mes élèves, de la sixième à la terminale un par semaine ouvrable et chacun d’eux à réciter tous les jours de l’année, je les précipitais tout vifs dans le grand flot de la langue, celui qui remonte les siècles pour venir battre notre porte et traverser notre maison. Bien sûr qu’ils regimbaient, les premières fois ! Ils imaginaient l’eau trop froide, trop profonde, le courant trop fort, leur constitution trop faible. Légitime ! Ils s’offraient des trouilles de plongeoir - J’y arriverai jamais ! - J’ai pas de mémoire. Me sortir cet argument, à moi, un amnésique de naissance ! - C’est beaucoup trop long ! - C’est trop difficile ! À moi, l’ancien crétin de service ! - Et puis les vers c’est pas comme on parle aujourd’hui ! Ah ! Ah ! Ah ! - Ce sera noté, m’sieur ? Et comment ! Sans compter les protestations de la maturité bafouée - Apprendre par cœur ? On n’est plus des bébés ! - Je suis pas un perroquet ! Ils jouaient leur va-tout, c’était de bonne guerre. Et puis, ils disaient ce genre de choses, parce qu’ils les entendaient dire. Leurs parents eux-mêmes, parfois, des parents ô combien évolués Comment, monsieur Pennacchioni, vous leur faites apprendre des textes par cœur ? Mais mon fils n’est plus un enfant ! » Votre fils, chère madame, n’en finira jamais d’être un enfant de la langue, et vous-même un tout petit bébé, et moi un marmot ridicule, et tous autant que nous sommes menu fretin charrié par le grand fleuve jailli de la source orale des Lettres, et votre fils aimera savoir en quelle langue il nage, ce qui le porte, le désaltère et le nourrit, et se faire lui-même porteur de cette beauté, et avec quelle fierté !, il va adorer ça, faites-lui confiance, le goût de ces mots dans sa bouche, les fusées éclairantes de ces pensées dans sa tête, et découvrir les capacités prodigieuses de sa mémoire, son infinie souplesse, cette caisse de résonance, ce volume inouï où faire chanter les plus belles phrases, sonner les idées les plus claires, il va en raffoler de cette natation sublinguistique lorsqu’il aura découvert la grotte insatiable de sa mémoire, il adorera plonger dans la langue, y pêcher les textes en profondeur, et tout au long de sa vie les savoir là, constitutifs de son être, pouvoir se les réciter à l’improviste, se les dire à lui-même pour la saveur des mots. Porteur d’une tradition écrite grâce à lui redevenue orale il ira peut-être même jusqu’à les dire à quelqu’un d’autre, pour le partage, pour les jeux de la séduction, ou pour faire le cuistre, c’est un risque à courir. Ce faisant il renouera avec ces temps d’avant l’écriture où la survie de la pensée dépendait de notre seule voix. Si vous me parlez régression, je vous répondrai retrouvailles ! Le savoir est d’abord charnel. Ce sont nos oreilles et nos yeux qui le captent, notre bouche qui le transmet. Certes, il nous vient des livres, mais les livres sortent de nous. Ça fait du bruit, une pensée, et le goût de lire est un héritage du besoin de dire. 13. Ah ! Un dernier mot. Ne vous inquiétez pas, chère madame pourrais-je ajouter aujourd’hui à cette maman qui, de génération en génération, ne change pas, toute cette beauté dans la tête de vos enfants, ce n’est pas ce qui va les empêcher de chatter phonétique avec leurs petits copains sur la toile, ni d’envoyer ces sms qui vous font pousser des cris d’orfraie Mon Dieu, quelle orthographe ! Comment s’expriment les jeunes d’aujourd’hui ! Mais que fait l’École ? » Rassurez-vous, en faisant travailler vos enfants, nous n’entamerons pas votre capital d’inquiétude maternelle. 14. Un texte par semaine, donc, que nous devions pouvoir réciter chaque jour de l’année, à l’improviste, eux comme moi. Et numérotés, pour corser la difficulté. Première semaine, texte n°1. Deuxième semaine, texte n°2. Vingt-troisième semaine, texte n°23. Toutes les apparences d’une mécanique idiote, mais ces numéros en guise de titre, c’était pour jouer, pour ajouter le plaisir du hasard à la fierté du savoir. - Amélie, récite-nous donc le 19. - Le 19 ? C’est le texte de Constant sur la timidité, le début d’Adolphe. - Tout juste, on t’écoute. Mon père était timide… Ses lettres étaient affectueuses, pleines de conseils raisonnables et sensibles; mais à peine étions-nous en présence l’un de l’autre, qu’il y avait en lui quelque chose de contraint que je ne pouvais m’expliquer, et qui réagissait sur moi de manière pénible. Je ne savais pas alors ce que c’était que la timidité, cette souffrance intérieure qui nous poursuit jusque dans l’âge le plus avancé, qui refoule sur notre cœur les impressions les plus profondes, qui glace nos paroles, qui dénature dans notre bouche tout ce que nous essayons de dire, et ne nous permet de nous exprimer que par des mots vagues ou une ironie plus ou moins amère, comme si nous voulions nous venger sur nos sentiments mêmes de la douleur que nous éprouvons à ne pouvoir les faire connaître. Je ne savais pas que, même avec son fils, mon père était timide, et que souvent, après avoir longtemps attendu de moi quelque témoignage de mon affection que sa froideur apparente semblait m’interdire, il me quittait les yeux mouillés de larmes, et se plaignait à d’autres de ce que je ne l’aimais pas. - Formidable. 18 sur 20. François, le 8. - Le 8, Woody Allen ! Le lion et l’agneau. - Vas-y. Le lion et l’agneau partageront la même couche mais l’agneau ne dormira pas beaucoup. - Impeccable. 20 sur 20 ! Samuel, le 12. - Le 12, c’est Émile de Rousseau. Sa description de l’état d’homme. - Exact. - Attendez, m’sieur, François se tape 20 sur 20 avec les deux lignes de Woody et moi, je dois réciter la moitié de l’Émile ? - C’est l’affreuse loterie de la vie. Bon. Vous vous fiez à l’ordre actuel de la société sans songer que cet ordre est sujet à des révolutions inévitables, et qu’il vous est impossible de prévoir ni de prévenir celle qui regarde vos enfants. Le grand devient petit, le riche devient pauvre, le monarque devient sujet; les coups du sort sont-ils si rares que vous puissiez compter d’en être exempts ? Nous approchons de l’état de crise et du siècle des révolutions. Qui peut vous répondre de ce que vous deviendrez alors ? Tout ce qu’ont fait les hommes, les hommes peuvent le détruire; il n’y a de caractères ineffaçables que ceux qu’imprime la nature, et la nature ne fait ni princes, ni riches, ni grands seigneurs.
c était mon oncle résumé par chapitre